Il y a vingt ans paraissait « La première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules » de Philippe Delerm. Ce fut un succès foudroyant. Ces textes courts, d’une extrême précision qui transforment ces « presque rien » de notre quotidien en « presque tout » ont un charme auquel il est impossible de résister. Les relire est un bonheur, d’autant que pour fêter cet anniversaire, l’éditeur (L’Apenteur/Gallimard) a eu l’idée de faire appel à Jean-Philippe Delhomme pour les illustrer.
Ces deux-là, je veux dire Delerm et Delhomme, font la paire. A l’évidence, ils viennent de la même enfance. On sent la province, et l’on imagine des mômes roulant à toute berzingue sur des vélos qui déraillaient régulièrement, buvant des Pschitt orange, s’entassant dans des compartiments de trains décorés de photos en noir et blanc des plus beaux villages de France et guettant le passage du Tour de France dans la région…
Le temps ne s’écoule plus de la même façon
La palette à la fois vive et liquide, douce et puissante de Jean-Philippe Delhomme s’impose comme une évidence entre les textes de Delerm. On pourrait même croire que le livre est paru comme cela dès la première édition.
Tout ce qui est écrit, tout ce qui est dessiné (à quelques exceptions près comme les cabines téléphoniques) existe encore : lire sur la plage, le cinéma, les espadrilles mouillées, les gâteaux du dimanche… Et pourtant quand on repose ce livre qu’on savoure comme une première gorgée de bière, on éprouve un drôle de sentiment. Ce monde-là n’est plus tout à fait le nôtre. Difficile de dire à quoi cela tient. Au temps lui-même sans soute.
Ce livre date d’avant les téléphones portables, les SMS, Internet, les chaînes d’info en continu et cela se sent. Le temps, aujourd’hui, ne s’écoule plus au même rythme.
Cette découverte-là, inattendue, donne à cet ouvrage une dimension particulière. Comme la représentation d’un monde qui est bien le nôtre, c’est incontestable, mais qui en même temps, nous échappe… De la nostalgie en temps réel. Étrange et magnifique à la fois.