La robe blanche
Nathalie Léger

P.O.L
fiction
août 2018
144 p.  16 €
ebook avec DRM 11,99 €
 
 
 
 Les internautes l'ont lu
coup de coeur

C’est un petit livre qui renferme un grand texte et les très grands textes, il n’est pas toujours facile d’en parler tellement l’on a peur d’abîmer ce qui a été exprimé avec tant de nuances et de précision. Oui, les grands textes fascinent et font peur, leur beauté formelle nous impressionne, la force de leur propos nous bouleverse. On se sent petit à côté et l’on ose à peine en parler… Allez, je me lance avec la crainte que mes mots restituent mal toute la puissance de ce que j’ai lu. Que l’auteur et les lecteurs ne m’en tiennent pas rigueur…
Dès le commencement, la narratrice (l’auteur?) se dit : « Je veux rester concentrée. » En effet, elle commence un livre avec… comment dire ?… un sujet principal (est-ce bien le mot?) et un sujet secondaire (l’adjectif est à côté, je le sens) qui vient comme parasiter le premier, empêcher l’auteur de s’atteler à sa tâche, autrement dit, à l’écriture. (A moins que ce ne soit l’inverse.) Rien n’est simple, je vous avais prévenus, et moi, quand je me sens petite, je m’embrouille.
Nathalie Léger a vu le film de Joël Curtz intitulé La Mariée (2012) dans lequel il est question d’une femme : Pippa Bacca. Celle-ci avait eu le projet – une performance artistique – de traverser différents territoires qui avaient subi la guerre, de Milan à Jérusalem, vêtue d’une robe de mariée et ce, dans le but d’apporter la paix, « d’effacer l’horreur ».
Sur son trajet, elle rencontrait les gens, les écoutait, recueillait leurs sentiments, leur lavait les pieds, leur procurait un peu de soulagement, de réconfort… comme si sa traîne blanche et son écoute avaient le pouvoir de les apaiser, de calmer un peu la douleur.
Pour se déplacer, elle faisait du stop, montait dans n’importe quelle voiture, bien persuadée que « lorsqu’on fait confiance, on ne peut recevoir que du bien. »
Elle fut violée et assassinée.
A-t-elle échoué dans son projet ? On est évidemment tenté de dire oui. En tout cas, elle n’a pas pu aller jusqu’au bout, encore que cela se discute : toute performance n’est-elle pas un jeu avec les limites, en l’occurrence, ici, celles qui séparent la vie de la mort ?
Et surtout, « a-t-elle vraiment pensé que la traîne de sa robe pouvait effacer l’horreur ? »
Tandis que la narratrice raconte à sa mère ce qui, dans ce travail d’écriture, est encore à l’état de recherche, de projet, cette dernière va lui demander d’évoquer les souffrances, les peines, la honte que son mari propre lui a fait subir. Elle traîne chaque jour comme un fardeau une insupportable injustice. On n’a pas écouté la mère, on écoutera la fille, on lira son roman et la mère s’en trouvera « vengée »… Non, ce n’est pas le terme… Mais au moins, on aura entendu sa voix « ma voix vivante » dit-elle et elle pourra enfin trouver le repos. « Pourquoi crois-tu que tu écrives si ce n’est pour rendre justice ? » demande-t-elle à sa fille.
Et la mère de défendre ce qui lui tient à coeur : « Entre nos deux sujets… le mien est plus réel que le tien, le mien tu l’as vécu aussi, tu en as des preuves, je veux dire des souvenirs, alors que tu n’as rien vécu de ton sujet, qu’il se soit réellement passé ne change rien, tu ne l’as pas vécu, ça n’est donc qu’une fiction, ton sujet n’est qu’un vœux pieux. »
Comme le dit la narratrice, il ne faut jamais rien dire de ses projets à sa mère, encore moins aux amies de la mère qui ont, elles aussi, leur mot à dire…
La robe blanche donne une voix à celles qui, de gré ou de force, se sont tues. Un livre féministe ?
En tout cas, je l’ai reçu comme cela. A la page 28, j’ai appris que « dans les Balkans, on appelle « la cartouche du trousseau » cette balle offerte au mari le jour des noces pour tuer l’épouse infidèle. » Que disent les performances en tous genres dont parle l’auteur dans le roman ? Que si les femmes laissent leur corps à la disposition de spectateurs, l’un d’entre eux n’ hésitera pas à se saisir d’un pistolet pour tirer, oubliant (?) qu’il a un être vivant devant lui .
Que peut la robe blanche face à la violence de l’homme, que peuvent les mots de la narratrice face à la douleur de la mère anéantie par la violence du mari ? Autrement dit, l’art peut-il réparer l’injustice et au fond, est-ce bien son rôle ?
Oui, je le crois. Car ces mots – et ceux des écrivains ont la particularité d’exprimer justement les choses – sont les voix de celles qu’on a réduites au silence. Ceux de la narratrice réparent l’injustice subie par la mère ; le long cheminement de l’artiste italienne tente de soulager le mal fait aux gens pendant la guerre. Et comme l’explique Nathalie Léger, il a fallu que la narratrice passe par l’histoire de la jeune Milanaise pour pouvoir enfin DIRE celle de sa mère. Comme si, l’histoire de la mère racontée dans ce livre-performatif – qui dit (raconte) et fait (répare) en même temps – donnait une fin à l’autre, à l’histoire qui ne s’est pas achevée parce qu’on a empêché la femme de l’accomplir jusqu’au bout.
Ce livre m’a bouleversée. Il est un lieu de transmission pour ces femmes devenues muettes du fait de la violence que les hommes leur ont fait subir. Il a beau être petit et léger (!), il a un poids considérable dans cette histoire de la voix des femmes que les siècles ont eu bien du mal à entendre et dont on commence seulement à retenir quelques bribes.
Un texte magnifique.
Et nécessaire.

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