Après Lully et Wagner, Vincent Borel consacre son nouveau roman à Anton Bruckner, renouant ainsi avec l’inspiration musicale où il excelle, parvenant à rendre dans une narration fluide et rythmée la complexité du compositeur autrichien à la musique réputée exigeante.
Une vie de frustration et d’abnégation
Au soir de sa vie, Anton Bruckner s’enferme dans une solitude que seuls viennent interrompre quelques disciples. La mise en ordre de ses affaires est propice à la remémoration du passé, des désirs, déceptions et frustrations, dont le musicien confesse la plus grande : celle de ne jamais avoir connu de femme, empêché toute sa vie par un rigorisme religieux qui a ancré en lui l’idée castratrice du péché. De condition modeste, le jeune Anton passe son adolescence à l’abbaye Saint-Florian, en Haute-Autriche, où il brille derrière l’orgue. Avec son diplôme d’instituteur assistant, il s’engage dans une existence misérable éclairée seulement par les soirées dans les tavernes, où il fait danser les villageois au son du violon tout en noyant dans la bière son pain noir quotidien.
De la musique avant toute chose
La fortune tourne en 1855 lorsque Bruckner devient l’organiste de la cathédrale de Linz. Après un grave épisode dépressif, il découvre Wagner, désormais son inspirateur. Assez vite, il se fait un nom parmi les plus célèbres organistes de son temps et multiplie les concerts dans les capitales européennes. Malgré une angoisse chronique et des troubles obsessionnels compulsifs, associés à un excès de bonne chère, il compose avec opiniâtreté, mais ses œuvres sont incomprises ; Brahms et la critique sont impitoyables, lui reprochant ses cuivres trop exposés, ses dissonances et son allure de paysan mal dégrossi. C’est sa septième symphonie qui lui apporte enfin la consécration. Vienne se divise alors entre pro- et anti-Bruckner, comme Wagner avant lui, entre partisans d’une modernité cosmopolite et défenseurs d’un pangermanisme teinté d’antisémitisme. L’humble Bruckner s’y perd, qui ne vit que pour servir Dieu par sa musique, préférant à l’agonie théâtrale la disparition discrète en coulisse.