La rédaction l'a lu
Femmes en asileOn ne sait pas, entre malades et soignants, lesquels sont les plus déséquilibrés : ne faut-il pas avoir l’esprit dérangé pour organiser une fois par un an un « bal des folles », inviter le tout-Paris à venir contempler les patientes du docteur Charcot comme si elles étaient des bêtes curieuses et transformer l’hôpital de la Salpêtrière en zoo ? Pendant les jours qui précèdent la mi-carême, ces femmes se préparent pour leur seule distraction de l’année, sans mesurer le véritable enjeu (montrer le travail des médecins) ni comprendre qu’elles seront l’attraction de la soirée. Parmi elles, il y a de vraies malades, des excentriques, mais aussi des femmes saines d’esprit dont les pères, les maris ou les frères ont estimé qu’elles seraient mieux là que chez elles. Louise, une adolescente aux joues rebondies, est très perturbée depuis qu’elle a été violée par son oncle. Expédiée à l’asile par sa tante, elle devient l’une des patientes-vedettes de Charcot qui l’hypnotise en public, état dans lequel elle réitère à chaque fois des crises très spectaculaires. Et Eugénie, que fait-elle là ? Certes, elle a des visions, elle reçoit la visite de personnes défuntes. La malheureuse n’aurait jamais dû se confier à sa grand-mère qui la dénonça à son père. Sans aucune hésitation, celui-ci la fit interner, ne voulant plus jamais entendre parler d’elle, de peur qu’elle ne salisse le nom de la famille. Plongeant dans cet univers impitoyable mais extrêmement riche, romanesque même, Victoria Mas dont c’est le premier roman, signe un livre bluffant, qui nous emporte sur les terres que Michel Foucault avait explorées dans son « Histoire de la folie ». Mais la jeune femme se consacre aux femmes, folles ou pas, mais toutes victimes des hommes qui, à l’époque, détenaient tous les pouvoirs sur elles.
coup de coeur
« Le bal des folles » de Victoria Mas
Les internautes l'ont lu
Je le lorgnais depuis la rentrée ce premier roman de Victoria Mas, prix Stanislas, prix Renaudot des lycéens, un très beau roman qui remue et pousse à la réflexion sur la condition féminine au 19ème siècle. Nous sommes à Paris en février 1885, à la Salpêtrière. C’est là qu’en mars aura lieu le bal de la mi-Carême, celui que l’on nomme « Le bal des folles », un moment qu’attendent avec impatience les pensionnaires. Ce bal c’est l’occasion d’avoir l’impression de vivre normalement, d’être libre, d’être l’objet d’attentions. Ce bal c’est tout simplement l’occasion d’exister, d’être vues car le tout Paris se presse pour voir « Les Folles », les voir de près vivre une crise d’hystérie par exemple. Ce bal n’est qu’un prétexte pour notre primo-romancière qui nous parle ici avant tout d’humanité et de la condition féminine de la femme au 19ème car c’est bien de cela qu’il s’agit du fait de ne pas pouvoir choisir son destin, sa place. C’est la société patriarcale qui décide et conduit femme, fille dans ce qui était anciennement et reste une prison pour femmes. Les choses ont un peu changé avec l’arrivée du professeur Charcot, un des premiers neurologues qui étudient et exhibent ses sujets en cours publics. Ces femmes hystériques, épileptiques, maniaco-dépressives, schizophrènes ou tout simplement abandonnées et oubliées de leur famille car elles refusaient l’autorité. Ces femmes perdant leur identité, leur passé uniquement parce que des hommes l’ont décidé, que ce soit au niveau familial ou médical, la femme n’a pas sa place. Qui sont-elles ? Elles ont victimes d’abus, de violences, elles contredisent l’autorité ou veulent simplement vivre pleinement leur vie. Si saines d’esprit, elles étaient en arrivant, la limite à franchir pour devenir « folles » est infime en vivant enfermées dans ces murs, humiliées, privées de toute liberté. Victoria Mas nous dresse de jolis portraits féminins, celui de Louise, jeune fille de 16 ans, enfermée il y a trois ans suite au viol par son oncle, elle espère rencontrer l’amour et le mariage et sortir d’ici. Celui d’Eugénie Cléry, fille de notaire, éprise de liberté, qui victime de son don – ce qu’elle comprend après la lecture de « Le livre des esprits » de Allan Kardec – celui de converser avec les morts, est enfermée par son père. Enfin une femme importante, Geneviève, infirmière qui a passé sa vie à veiller sur « les folles » jouera un rôle important et retrouvera de l’humanité au contact d’Eugénie. Un premier roman qui marque, qui fait réfléchir sur la conditions des femmes, et les débuts de la psychiatrie. Une belle plume, bien documentée, qui sait faire monter une tension au fur et à mesure de la préparation du bal. Une plume à suivre. Ma note : 9.5/10 Les jolies phrases La maladie déshumanise, elle fait de ces femmes des marionnettes à la merci des symptômes grotesques, des poupées molles entre les mains des médecins qui les manipulent et les examinent sous tous les plis de leur peau, des bêtes curieuses qui ne suscitent qu’un intérêt clinique. Elles ne sont plus des épouses, des mères ou des adolescentes, elles ne sont pas des femmes qu’on regarde ou qu’on considère, elles ne seront jamais des femmes qu’on désire ou qu’on aime : elles sont des malades. Des folles. Des ratées. Les hommes sont trop sérieux, ils ne savent pas s’amuser. Les femmes savent être sérieuses, mais elles savent rire également. Vous le décriez avec tant d’ardeur. Quelqu’un qui suscite autant de passions doit bien avoir vu juste quelque part. Les hommes savent dire ce qu’il faut pour obtenir ce qu’ils veulent. Les rêves sont dangereux, Louise. Surtout quand ils dépendent de quelqu’un. La perspective de ce bal costumé tranquillise les corps et apaise les visages. Il y a enfin quelque chose à espérer. Mais la folie des hommes n’est pas comparable à celle des femmes : les hommes l’exercent sur les autres; les femmes, sur elles-mêmes. Il n’y a nul besoin d’y croire pour que les choses existent. Je ne croyais pas aux Esprits, pourtant ils existent. On peut se refuser aux croyances, s’y prêter ou s’en méfier; mais on ne peut pas nier ce qui se présente devant vous. Des années à la Salpêtrière lui avaient fait comprendre que les rumeurs faisaient plus de ravages que les faits, qu’une aliénée même guérie demeurait une aliénée aux yeux des autres, et qu’aucune vérité ne pouvait réhabiliter un nom qu’un mensonge avait souillé. Il existe peu de sentiments plus douloureux que de voir ses parents vieillir. |
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