Angleterre. Printemps 1824. Darlington. En plein chantier de construction du chemin de fer, un ouvrier découvre dans un marais le corps d’une jeune femme que tout désigne pour être Lady Beresford, disparue mystérieusement corps et âmes il y a des années de cela, son mari ; Lord Beresford ayant pour sa part pris la fuite à l’étranger et n’ayant plus donné signe de vie.
Jean-Pierre Ohl livre un récit foisonnant de part les personnages, les caractères, les événements, les sujets. Et pourtant, le résultat final conserve une totale cohérence de bout en bout même si le lecteur n’aura en sa possession toutes les clefs du récit qu’à la fin du livre.
Si l’enquête autour de la découverte du corps est un pilier essentiel du livre sans lequel les fils de l’histoire ne pourraient se dérouler, le fond du livre n’y réside pour autant pas. Il n’est qu’un prétexte à dresser le portrait d’une société en plein bouleversement : à travers les chamboulements induits par l’industrialisation à outrance, Jean-Pierre Ohl dépeint une société en pleine confusion, perdue entre le conservatisme des nantis, la soif de progrès des nouveaux riches et la pauvreté de tout un pan de la population qui ne sortira certainement pas enrichi des évolutions en marche.
Jean-Pierre Ohl en profite pour égratigner l’aristocratie, quelle soit anglaise ou non, qui se complaît dans un quant-à-soi où les petits arrangements entre amis sont monnaies courantes et qui n’a pas disparu quelques deux cents ans plus tard.
Roman gothique, roman romantique, roman critique, « Le chemin du diable » prend mille détours, mille voies et mille voix différentes pour emmener le lecteur sur des chemins de traverses sans que celui-ci ne sache véritablement jusqu’où le conducteur du train veut le conduire. Mais on suit les aventures d’Edward Bailey, flanqué de son clerc particulièrement perspicace, qui joue les faire-valoir de luxe et attire toute la lumière sur lui, Stephenson, ingénieur éclairé et aveuglé, obnubilé par ses inventions et qui ne saisit pas pleinement que ce que lui accepte de faire au nom du progrès (y compris de son propre progrès financier, faisant de lui un génie naïf), d’autres ne le font que par soucis d’enrichissement personnel et certainement pas pour apporter un quelconque progrès au peuple, Leonard Vholes, l’homme devenu l’avocat aigri qu’il est et qui a totalement perdu de vue le jeune romantique transi et sans le sou qu’il fut, j’en passe et des meilleurs.
Jean-Pierre Ohl trace une frontière particulièrement imperméable entre les différentes couches de la société, à l’exception notoire de Vholes qui, pour avoir réussi là où tout le monde a échoué, n’en a pas mois perdu son âme. Si l’auteur en appelle à nos plus profonds sentiments humains, il le fait à travers un prisme social qui n’est pas sans avoir une forte résonance avec la société actuelle.
Ce « Chemin du diable » a été pour moi l’occasion de découvrir une écriture et un style qui me donnent particulièrement envie de les approfondir dans les autres ouvrages de l’auteur dont certains relèvent a priori de la science-fiction, signe de pluridisciplinarité de l’auteur…