Philippe s’est retrouvé seul. Isabelle a délaissé Philippe pour Arnaud, le chef de Philippe. Marion, leur fille, est en couple avec Elise avec laquelle elle a trois enfants. Philippe n’est pas très proche de sa fille et s’est rapproché de sa mère avec laquelle les relations sont plus que tendues, axées sur les reproches incessants adressés par l’une à l’autre sur son mauvais mariage avec Isabelle qui, en plus de l’avoir quitté, ne venait pas du même milieu. Camille réalise des reportages sur les migrants, vit avec Ashanta, immigrée et black. Maya est travailleuse du sexe et a une relation avec Jo, flic de son état.
Et puis il y a les personnages « annexes » : Arnaud, le nouveau compagnon d’Isabelle, qui campe un pervers narcissique glaçant, l’ami journaliste de Camille qui la guide dans la jungle de Calais et dans sa chambre d’hôtel, les policiers qui n’ont cure des femmes qui viennent porter plainte pour viol et qui les dégoûte des procédures à venir…
Wendy Delorme embrasse, à travers plusieurs fils narratifs, la question du dominant et du dominé, de l’oppresseur et de l’oppressé. De la femme battue à la femme violée en passant par la femme étrangère, la figure féminine est maltraitée est doublement maltraitée : d’abord parce qu’elle est féminine et ensuite parce qu’elle est constamment humiliée.
Soumission, abandon, renoncement sont au centre de ce récit choral saisissant. La révolte apparaît en filigrane sans parvenir, tout au long du développement de Wendy Delorme, à prendre le dessus sur les situations révoltantes évoquées par l’auteur. On n’est toutefois pas dans le misérabilisme : Wendy Delorme pointe du doigt les maltraitances quotidiennes dont sont victimes ici des femmes mais qui pourraient concerner n’importe qui.
Ce qui est intéressant c’est que Wendy Delorme pointe ce qui pourrait être à l’origine de tous ces désordres : le regard de l’autre est ce qui pèse sur ce que sont les personnages du livre. Il y a les agressions physiques mais il y a aussi les agressions morales, les brimades… En cela le corps est effectivement une chimère : il n’est que la partie visible de l’iceberg de violence qui s’abat sur les personnages, il n’est qu’une expression physique des épreuves endurées.
Wendy Delorme sait parfaitement souligner les ressors psychologiques derrières les actes et rendre ses personnages humains, attachants, passionnés et emporter son lecteur dans un tourbillon émotionnel dont il ne ressortira pas indemne : poussé dans ses retranchements, il devra s’interroger sur le statut des personnes « différentes », qui sortent d’une certaine « normalité » (et je n’aime pas cette notion de normalité), d’un schéma mental imposé par la société.
Bref, j’ai l’impression d’avoir très mal dit que c’est très bien…