Voici la biographie romancée du réalisateur et biologiste Jean Painlevé, par l’une de celles qu’il a rendue célèbre dans un film de 1928, la pieuvre. Oui, vous avez bien lu, la narratrice est ici un céphalopode à trois cœurs et huit tentacules… Original et poétique à souhait.
L’histoire commence au bord de l’océan où, enfant, Jean passe ses vacances à ramasser des coquillages, lorsqu’il rencontre le mollusque. Comme dans une histoire d’amour romanesque, il a suffi d’un regard pour que ces deux-là se reconnaissent et se disent oui pour la vie. Notre pieuvre, après avoir été pêchée, monte à Paris avec le jeune garçon. Ce fils du mathématicien et ministre Paul Painlevé, devenu éthologue et par ailleurs passionné de cinéma, a l’idée originale, bien avant le Commandant Cousteau, de montrer au public la vie fascinante de la faune sous-marine. Bien sûr il ne manque pas de se heurter aux railleries de ses pairs : la science, c’est du sérieux, arrêtez votre cinéma ou allez jouer ailleurs ! Malgré les critiques, Jean Painlevé persiste et réalisera de nombreux films documentaires. Ami d’André Breton, des surréalistes, du réalisateur Jean Vigo, le biologiste ne s’enferme pas dans son laboratoire, faisant de la science un art.
Amoureuse de son pygmalion, sensible et jalouse à ses heures, la pieuvre ventousée aux parois de son aquarium attend son aimé et compte les jours, ou plutôt les décompte ; une fois ses œufs éclos, pour lesquels elle se prive de nourriture, la belle va mourir, c’est dans sa nature. Alors avec son encre elle écrit la chronique de sa mort annoncée. Star que le cinéma a rendue immortelle, elle ne se leurre pourtant pas, car les amours monstrueuses sont toujours condamnées. Lucide, drôle, érudite, douée d’une mémoire d’éléphant, elle en a séduit d’autres, comme Hugo ou Lautréamont, mais elle sait aussi que qui veut faire l’homme fait la bête. Le tragi-comique de cette situation est irrésistible, et le lecteur, flottant entre deux eaux, est séduit par l’écriture subtile et sensorielle de Marie Berne.