Aurélien Bellanger est entré en littérature avec « la théorie de l’information » ou comment la France est passé du Minitel à internet, pour résumer. Il a ensuite écrit « l’aménagement du territoire » ou comment le tracé d’une autoroute ou d’une voie de TGV dessine aussi la politique d’un pays. Deux grands et denses romans sur la France, ses audaces et ses frilosités, ses administrations et ses grands patrons. Gallimard publie aujourd’hui son 3ème roman, « Le grand Paris », l’histoire d’un Prince de petite taille qui se met en tête de redéfinir Paris, son périmètre et ses banlieues, mais qui n’en aura pas le temps, laissant ce projet à ses successeurs, avides eux et elles aussi d’achtitecturaliser l’Histoire pour laisser une trace. « Le grand Paris » c’est l »obsession des gouvernants d’atteindre à l’immortalité, à travers une pyramide transparente, une bibliothèque monumentale, un musée des Arts Prémiers, ou donc, ici, une grandeur nouvelle de la plus grande des Villes.
C’est passionnant, touffu, bourré jusqu’à la gueule de réflexions pointues, comme d’habitude chez Bellanger, qui a davantage d’idées par paragraphe que Nothomb dans un livre entier. A l’inverse également de sa consoeur belge, Bellanger semble fuir le dialogue comme la simplicité. Pratiquement rien en terme de retour à la ligne, de tirets, de ce qui constitue il faut le dire 80% des romans actuels. La prose de Bellanger a un souffle inouï, une capacité pulmonaire incroyable, pour absorber sans jamais s’essouffler le flot ininterrompu de l’auteur, cette cascade d’idées, de digressions, d’informations, jusqu’à l’ivresse parfois, mais jamais la nausée. Tout coule de source, ici, trop de sources à certains moments, nous imposant de revenir sur nos pas, pour nous y retrouver, mais quel débit, quel rythme, quel tour de force que cette écriture là.
Ni les sujets, ni la forme ne sont « sexy », rien de tragique ici, rien de suspense, rien de monstrueux, rien de vulgaire, du Stendhal plein le style. Ou du Bellanger. Sans doute le plus intéressant des auteurs français actuel (avec Houellebecq) qui, mine de rien, en 3 romans, a disséqué une bonne partie de la France de ces 30 dernières années avec justesse et finesse.
« Le Grand Paris » nous rappellera dans 20 ans que Nicolas Sarkozy a existé, et comment il en est venu à commander la France. Il faudra bien ça.
Le grand Paris sera d’ailleurs tout juste achevé dans 20 ans, ou pas. Aurélien Bellanger, lui, sera sans doute passé à bien d’autres choses, en toute écriture.