Une plongée dans le monde du journalisme écrit dont je suis sortie un peu groggy.
Aude Lancelin, en direct du ventre de l’Obs raconte, témoigne de la lente et inexorable dégradation de la presse écrite, du copinage, des acoquinages des journalistes avec le pouvoir et l’argent.
Qu’un nouveau riche venu du minitel rose s’offre un journal, pourquoi pas.
Qu’un esthète (soi-disant) venu du monde de la haute couture s’offre un journal, pourquoi pas
Qu’un banquier s’offre un journal pourquoi pas
Mais que ces trois lascars se réunissent créent un groupe baptisé « Le monde libre » pour désincarner des journaux comme Le Monde, l’Obs entre autre et, surtout, le mettre à leur service, il y a de quoi rugir. Le nom de la holding prête à sourire jaune après lecture du livre.
Aude Lancelin va plus loin que l’explication de son licenciement, elle décrit le déclin de l’Obs devenu sous sa plume « l’Obsolète » -titre très parlant- et, plus généralement, de la presse écrite.
La collusion entre le politique et la presse, à travers ses journalistes, a toujours existé. A trop se fréquenter, se mêler s’épouser… Amoindrir la liberté de la presse équivaut, pour moi, à amoindrir la démocratie… C’est peut-être le but visé des grands argentiers.
Comme chez les politiques, une fois les spots éteints, les patrons de journaux sont copains comme cochons !! « Les patrons des trois plus grands hebdomadaires, « L’Obsolète », Le Point et Marianne, qui toute l’année faisaient mine de s’empailler sur les tréteaux comme des marionnettes batailleuses, passaient tous leurs Nouvel Ans à festoyer ensemble. Tantôt dans l’hôtel particulier de Saint-Germain-des-Prés qui appartenait à l’un d’entre eux, tantôt dans leurs datchas respectives de la côte normande qu’ils avaient achetées à proximité tant leur symbiose était totale et ne s’embarrassait pas d’obstacles idéologiques. » Mince (remarquez comme je suis polie !)Marianne ! Moi qui croyais en sa liberté pure et dure « La chose était d’autant plus stupéfiante à remarquer dans le cas de Marianne, fer de lance de la dénonciation de la « pensée unique » depuis la fin des années 90. ». Il est vrai que Laurent Joffrin Môquet passe gaillardement du fauteuil de Marianne à celui de l’Obs !
« L’Obsolète » est victime des « amis du journal » dont « Une sénescente poignée d’hommes politiques fermait le ban de cette infernale cohorte, au premier rang desquels un ancien ministre de la Culture, incarnation parcheminée et presque parodique de la gauche incantatoire des années 80, celle-là même que tout le monde était désormais désireux d’oublier. » qui font la pluie et le beau temps pour leur petit entre-soi. Certains intellectuels philosophes dont notre BHL national (« un pitre mégalomane dont chacun riait par-devers soi. »), Finkielkraut font partie de ces gens qui font la pluie et le beau temps à l’Obsolète.
Ce n’est pas qu’un règlement de compte mais la constation de l’échec du parti socialiste, de sa glissade à droite « La glissade à droite de tout le spectre intellectuel et politique était continue, d’une profondeur inouïe. Et ce qui ne laissait pas d’étonner, c’est que, même parmi les journalistes qui comprenaient la situation, rares étaient ceux qui s’aventuraient à en fournir le saisissant tableau ».
Aude Lancelin envoie non pas des gifles, mais des scuds que j’ai reçus en pleine figure. Avec beaucoup de talent, de calme, elle raconte ce qu’elle a vu, ce qu’elle a supporté. Les lâchetés des patrons de presse, de sa hiérarchie, des collègues, la mainmise de certains intellectuels, d’anciennes gloires du PS, les courtisans genoux à terre, la médiocratie, la fuite des plumes. Elle met à nu la misère intellectuelle du triumvirat, de ses supérieurs hiérarchiques.
Un livre cruel par ce qu’il dévoile, mais un livre nécessaire ; un constat accablant
Combien d’années faudra t-il pour réparer ce formatage, cette descente vers la nullité. J’attends d’un journaliste, d’un éditorialiste qu’il élève le débat, qu’il soit, non pas impartial, cela n’existe pas, mais intelligent et courageux. L’Obsolète n’était plus, depuis plusieurs décennies, le journal de gauche que l’on a connu, mais quand même !!
Notre président de la république actuel est bien un président normal : le fait du prince, il pratique. « Une source élyséenne celle-là, affirmait qu’il y avait plus d’un mois que mon sort avait été scellé lors d’une entrevue ».
Claude Rossignol, fondateur de l’Obsolète l’avait compris « Le danger aujourd’hui est que, n’ayant pas fait les réformes nécessaires et sans moyens financiers, la presse et ses lecteurs tombent entre les mains des pouvoirs de l’argent, du politique ou du CAC40, dont les intérêts sont liés ». Nous avons un immense pouvoir, nous lecteurs : ne plus acheter ces journaux !!
Quelle plume, quel vocabulaire ! « Dans tous les événements qui seront relatés ici, il n’est pas une phrase, pas un fait, qui ait été informé ou même déformé. » écrit Laure Ancelin dans l’avertissement en début de l’ouvrage.
Un livre salutaire à lire, une belle plume.
Une question me taraude : Pourquoi Aude Lancelin est restée si longtemps à l’Obs ? Pourquoi n’être pas partie avant puisque le hiatus augmentait entre sa conception du journalisme et l’hebdomadaire ?
Est-ce la réponse ?
« Quel était, au fond, ce désir sur lequel je ne voulais pas céder ? Seulement, je crois, celui de ne pas renoncer à prendre ma part, celle que n’importe qui peut prendre à tout moment du temps, dans la lutte éternelle contre l’écrasement de l’esprit. Lâcher l’affaire, prendre ses distances, couvrir prudemment des opérations de faux-monnayage intellectuel, comme j’en vis tant d’autres, des gens de qualité parfois, accepter de le faire au fil des années, c’eût été capituler, et capituler c’eût été mourir intérieurement. Cela ne m’était tout simplement pas possible »
« Il y a décidément des pensées auxquelles on ne se fait pas. Jamais par exemple, je ne m’étais imaginé qu’un président de la République puisse commenter ma vie privée dans le secret d’un salon de l’Elysée. « Ah vous ne saviez pas cela ? Ce sont des choses importantes à savoir pourtant, croyez-moi. » Lorsque j’appris ce détail, je me sentis physiquement meurtrie. »