On cueille Jeanne à Nice, à la descente de l’avion. Elle y accompagne pour trois jours sa mère, qui veut revoir sa ville natale une dernière fois, avant que le cancer qui la ronge depuis des années ne la dévore définitivement.
Sa mère, que Jeanne ne nomme pas (et l’on comprend à la fin seulement pourquoi), a pris une grosse valise alors qu’elle sait sûrement qu’au « prochain voyage, elle sera sans bagage ». Si la mort ne s’encombre pas, à l’inverse, Jeanne a voulu emmener avec elle sa grand-mère. Qu’importe si elle n’ a plus toute sa tête, son sourire ne sera pas de trop pour l’aider à tenir le coup. La vieille dame est venue avec son chandelier en argent à sept branches, une horloge en marbre et un couteau à pain, trois objets témoins du drame qui a emporté son enfance. Jeanne a besoin de cette aïeule qui a survécu aux pogroms, à la seconde guerre mondiale et à la mort de son fils pour affronter celle de sa mère.
De Nice, la mère de Jeanne ne verra rien d’autre que les palmiers et le reflet de la mer aperçus depuis la fenêtre de l’hôtel. Elle qui rêvait d’admirer la Méditerranée n’a plus assez de force pour sortir de sa chambre. La douleur, qui lui tient lieu de compagne, ne la lâche pas un seul instant. Ni les médicaments, ni le vin rouge suffisent à noyer ses souffrances. Seul le sommeil, dans lequel elle se laisse glisser irrémédiablement, lui offre un peu de répit. Pendant que sa mère dort, Jeanne promène son chagrin dans les rues de Nice qu’elle connaît mal et l’assoit sur le banc d’un jardin public. C’est là qu’elle rencontre Gabriel, le matin de Noël. L’existence a de drôles de coïncidences: alors que sa mère perd la vie, Jeanne perd sa virginité avec « un esseulé du 25 décembre ». Le récit qu’elle fait des derniers jours de sa mère, alterne avec celui de Gabriel. Leurs voix tissent le fil d’une histoire qui ne s’éclaire tragiquement qu’à la fin.
Anne Goscinny signe un texte poétique empreint de nostalgie et de tendresse. Elle évoque avec une élégante pudeur la mémoire et sa horde de souvenirs perdus. Et décrit avec délicatesse la rageante impuissance d’une fille face au calvaire de sa mère adorée. Son récit file entre nos doigts comme les jours de la mère de Jeanne. La jeune fille les compte depuis qu’elle a treize ans à peine. De rémissions en rechutes, de rechutes en rémissions, les années ont passé, tour à tour gangrenées par l’angoisse et revigorées par l’espoir. Anne Goscinny les traduit fort joliment dans ce petit livre qui a le doux parfum de la mélancolie.