La Crau. Une terre nue, brute et aride, voisine de la Camargue. « La Crau grêlée à perte de vue de ses éternels galets ronds ». Les auteurs antiques, d’Aristote à Strabon en passant par Eschyle, furent frappés par ces champs de pierres polies, de forme et de tailles semblables et en forgèrent la légende de la Crau en inventant sa mythologie. La plus célèbre de ces légendes est celle d’Eschyle, citée en exergue du dernier roman de Sylvain Prudhomme. Elle raconte que cette grêle de cailloux fut envoyée par Jupiter à Hector qui manquait d’armes pour combattre les Liguriens.
C’est dans cette plaine singulière où ont été tournés les premiers westerns-camembert, que Sylvain Prudhomme campe le décor magnétique de « Légende ». Il nous y raconte l’histoire de quatre garçons dans le vent . Tout d’abord celle de deux amis, Nel et Matt que ce lieu fascine. Matt, réalisateur de documentaires, la filme et Nel, fils et petit fils de berger, la photographie du haut de son camion-nacelle. À la faveur d’un documentaire que Matt réalise sur une ancienne boîte de nuit de la région, « la Chou » – mythique entre les années 60 et 90- il tombe par hasard sur un sujet de réalisation qui va le fasciner plus encore : l’histoire de deux frères maudits, Fabien et Christian qui s’avèrent être les cousins de Nel. Le destin tragique de ces deux garçons que tout opposait frappe encore les esprits. Entre passé et présent, la Crau et Madagascar, la transhumance des brebis et la chasse aux papillons, s’engage un roman-enquête sur une fratrie disloquée, symbole de toute une génération qui oubliait les crises et le sida dans les paillettes et une forme de «je m’-en-foutisme ». Une période post-parenthèse enchantée nourrie de beaucoup d’illusions perdues. Après « les Grands » qui nous avait éblouis en 2014, Sylvain Prudhomme nous offre ce nouveau roman dans un genre qu’il fait sien : le reportage-fiction. De sa langue musicale et colorée, mais polie comme les galets de La Crau, il nous donne à voir et ressentir les vastes horizons d’un monde qui nous est à la fois si proche et si loin pour y « retrouver dans ses errements et ses oscillations, la couleur d’une époque, ses questions, ses espérances, ses doutes ».