Syffe est un enfant, 8 ans au début de ce récit (on préférera ce terme à celui d’histoire qui ne rendrait pas pleinement compte de l’ampleur du livre de Patrick Dewdney), qui vit dans un univers qui emprunte autant au Moyen-Âge pour tout ce qui concerne une organisation sociale de type féodale qu’aux Celtes pour ce qui regarde des sociétés de type claniques. Syffe est orphelin et vit dans une sorte de pension qui recueille trois autre enfants qui lui ressemblent beaucoup. Contraint et forcé, Syffe devra s’extraire de ce microcosme plus ou moins protecteur pour prendre conscience de la société dans laquelle il vit et pour prendre sa part de responsabilité dans son évolution.
Il existe, à mon sens, deux types d’heroïc-fantasy. Vous avez des récits où la puissance, la magie, les monstres, les batailles, les scènes de bravoures forment l’ossature de l’histoire. Prenez « Le livre des martyrs », précédemment chroniqué : le livre ne se limite pas à ces aspects mais ils sont particulièrement présents et c’est particulièrement réussi. « L’enfant de poussière » prend le contre-pied de tous ces récits épiques, magiques… Patrick Dewdney prend le temps de faire grandir ses personnages (d’en tuer quelques uns au passage) et surtout Syffe qui bénéficie dans ce premier tome de 5 ans d’un dur apprentissage.
L’enfance, l’apprentissage, l’émancipation, le libre-arbitre font partie des thèmes centraux du livre de Patrick Dewdney. Son attachement à Syffe est indéniable et le lecteur ne peut que se sentir lier à cet enfant bringuebalé à hue et à dia au gré de décisions qui ne lui appartiennent pas. Petit à petit, les événements vécus par Syffe participent à couper l’un après l’autre les fils qui le retiennent à son enfance pour passer directement à l’âge adulte sans avoir le temps de profiter de son statut d’enfant ni de traverser une adolescence que le destin et les hommes lui refusent.
On prend un réel plaisir à voir ce petit bout d’homme apprendre, grandir, découvrir, parcourir le monde dans un récit qui emprunte les codes d’un peu tous les types de récits imaginables : il relève autant du roman d’apprentissage que du polar que de l’heroic-fantasy pur jus que du thriller que du fantastique. Et pourtant, rien ne semble surfait sous l’écriture de Patrick Dewdney.
A coup d’images aussi puissantes que parfois originales, Patrick Dewdney déroule un récit où l’humain occupe toute la place centrale. En mettant l’humain au centre de sa narration, Patrick Dewdney parvient à rendre son récit universel et, de façon surprenante pour ce genre de littérature, contemporain. Les thèmes qu’il aborde parlent à tout lecteur avec un minimum de cœur. Cette potentielle transposition avec des sujets modernes comme le déracinement renforce encore la sensation que ce livre ne peut laisser personne indifférent. Le récit de Patrick Dewdney parle autant à l’adulte qu’on est devenu qu’à l’enfant qu’on fut ou que, pour certains, nous sommes restés ou redevenus à l’occasion de la lecture de ce livre.
Patrick Dewdney ne fait pourtant pas totalement l’économie d’un peu de fantasy et de magie. Mais il le fait d’abord avec de fort petites touches de peinture avant de forcer un peu plus le trait en fin de livre en prenant un pinceau un peu plus gros. A travers les rêves de Syffe, il fait surgir un peu de surnaturel. Cela devrait lui permettre, qui plus est, de faire évoluer et son personnage central et son histoire dans les prochains tomes. Sachant qu’il devrait y en avoir 7 en tout… on en salive d’avance !
Après avoir dit tout ce bien, il me faut néanmoins aborder un sujet qui n’est pour autant pas un point négatif du livre mais par contre un sujet qui peut ou va poser débat. A une rare exception près, celle du personnage du médecin-chirurgien qui enseigne son art à Syffe, bien vite balayé par le sens de l’histoire et par les événements, toute notion de sacré est absente de ce récit. En soi, cette absence n’est pas préjudiciable ni à la narration ni au style et semble être plutôt le reflet des intimes convictions de l’auteur en matière de religion et de sacré. Mais elle peut potentiellement poser problème pour la suite de l’histoire de Syffe : on se demande comment un monde, jusqu’à présent parfaitement crédible, peut objectivement exister ou perdurer sans sacré, sans religion.
Prenez « Les guerriers du silence » de Pierre Bordage, une référence, en SF certes, mais ne chipotons pas. L’articulation de l’histoire se fait tout à la fois autour du pouvoir temporel et du pouvoir intemporel. Les deux sont indissociables. Il ne s’agit là que bien entendu que d’un exemple mais nous pourrions les multiplier à l’envi. Cette absence, évidemment visible et notable dans ce premier tome sans être préjudiciable, répétons-le, ne le deviendra-t-elle pas par la suite ? Comment l’auteur pourra-t-il s’en sortir à ce niveau ? Il s’agira là d’un des enjeux des prochains tomes.
« « Je ferai de toi un guerrier », répondit prudemment Uldrick, tout en me dévisageant. « Si c’est ce que tu veux. » Ma tête bourdonnait, je me remémorai Nahirsipal et cette journée lumineuse, lorsque j’avais vu les Vars descendre des montagnes, et que leur souvenir avait nourri mes rêves pendant les lunes qui avaient suivi. Comme Uldrick me l’avait affirmé, j’étais stupide. Comme tous les petits enfants, je rêvais stupidement d’aventures et de gloire, et je m’imaginais que ce que le Var grisonnant me proposait, c’était l’incarnation tangible de ces mêmes rêves stupides. Je me voyais déjà grand et altier, vêtu d’une armure sur un destrier scintillant. La réalité était tout autre, bien sûr, et durant les heures qui suivirent Uldrick tenta de me faire comprendre ce qu’était la guerre, la terreur, la boucherie et les hurlements. Si ces récits morbides tempérèrent quelque peu mon enthousiasme initial, je m’accrochai malgré tout à mon idée. Je crois que cela tenait au fait que j’éprouvais le besoin d’être reconnu, ou aimé. Et surtout, je n’aurais pas survécu à un nouvel abandon. Je marchais sur un fil, le dernier fil ténu qui me reliait encore à ma foi en l’homme, et que la récente trahison de Hesse avait failli trancher net. »
« Puis ils m’envoyèrent aux mines, où les sourires servent de parures aux fous et de linceuls aux morts. »