Juliette Monin, lycéenne des années soixante finissantes se rend en vacances chez Camille, sa cousine, en Alsace .La famille de Camille, engoncée dans un conservatisme provincial passablement étouffant, où il n’est question que de respectabilité, de bonne éducation pour les jeunes filles, d’un mariage de raison, de préférence avec un garçon bien né, et bénéficiant d’une « bonne situation » est en butte aux velléités d’émancipation de Camille, jugée passablement dévergondée par ses parents et Juliette elle-même .C’est l’époque de la pop music, des vestes afghanes en peau, des pantalons pattes d’eph. On lit Salut les Copains, Rock and Folk, on écoute langoureusement les Aphrodite’s Childs, on parle de la drogue sans oser en consommer ….Dans cette Alsace bourgeoise quelque peu hors du temps, Juliette tombe amoureuse de Patrice Landerneau, un jeune lycéen révolté, décidé à en finir avec le système, à s’émanciper.
Juliette cherche en fait, au-delà d’une émancipation révolutionnaire très problématique, à favoriser les forces de vie, à se diriger vers la voie authentique qu’elle devine en la compagnie de Patrice : « Il était mon Dylan, mon Donovan .Je voulais me mettre à la guitare, l’accompagner à des concerts de rock. Je me fichais de La Cause du peuple, des mais et du Petit livre rouge, tout de même un peu gênée qu’il me voit comme une fille gâtée, une fille qui n’a pas besoin de travailler. Ce n’était pas faux. (…) Et d’un autre côté, j’éprouvais l’envie de m’instruire, de m’ouvrir, de sortir de mon cocon. »
Au fil du récit, Juliette doute de plus en plus du caractère réaliste du projet de Patrice, qui sombre bientôt dans la drogue, et finit par se suicider .Pourtant, Emmanuelle de Boysson parvient fort bien à décrire ce qui habite Juliette secrètement : le désir d’être habitée par la vie, la force vitale ; Ce désir, elle l’éprouve en constatant, lors d’une séance de gymnastique que son corps la fait jouir. Ce qui l’habite elle le ressent plus tard, en rêvant de Patrice, au moment où elle commence sa nouvelle vie .elle se réveille, éprouvant une jouissance comparable à celle éprouvée lors de la séance de gymnastique quelques années plus tôt .Même si le désir d’émancipation de Juliette ne s’est pas complètement concrétisé, elle n’apparaît pas vraiment perdante : « Cette nuit-là, j’avais joui, comme le jour du BEPC ,lorsque je grimpais à la corde raide .Au-delà des années, au-delà des apparences, le plaisir était resté intact, ce plaisir qu’aucune photo ne pourra refléter, la jeunesse retrouvée . »
Charmant roman, empli de nostalgie et restituant à merveille les contradictions de cette époque, encore installée dans des schémas anciens bientôt balayés par la révolution des mœurs qui accompagnera les années soixante-dix, cette « parenthèse enchantée ».