Dans son deuxième roman, Déborah Lévy-Bertherat raconte avec finesse et sensibilité le dernier amour de deux êtres qui se rejoignent à la fin de leur vie et comblent les blancs de leur histoire au gré d’une mémoire vacillante et d’un imaginaire consolant.
René Loriot coule une retraite paisible à la Maison de l’Espérance, une résidence bourguignonne tenue par des religieuses. Il occupe ses journées en retouchant la maquette de la maison du garde-barrière où il a passé son enfance, et qu’il a reconstituée dans sa chambre ; une fois par semaine, il écrit à sa fille, chercheuse au Pôle Nord, qui ne répond jamais à ses lettres ; le reste du temps, il se promène dans le jardin, se plaisant à bavarder avec le personnel et plus encore avec sœur Célestine, arrivée de son Burkina natal quatre ans auparavant, avec dans les poches de son habit le Nouveau Testament et les Contes d’Andersen. Lorsque Madeleine, une nouvelle pensionnaire, emménage à la Maison de l’Espérance un jour d’été, elle reconnaît immédiatement en René son amour d’enfance qu’elle croyait mort pendant la guerre d’Indochine, en 1952. Après avoir vainement tenté de la détromper, René se prête finalement au jeu et glisse imperceptiblement dans la peau de cet inconnu qui lui ressemble dans les yeux et les souvenirs de cette femme séduisante. Au fil des semaines et des confidences de Madeleine, il s’approprie l’identité de ce fameux Max, et conçoit un amour bouleversant pour sa nouvelle voisine de chambre. Lui qui, en six ans, n’a jamais dépassé le portail de la résidence, s’offre une dernière échappée du côté de la vie, la vraie, et l’imposture dans laquelle il s’enfonce le contraindra paradoxalement à soulever le couvercle de sa propre boîte à secrets, qui sont autant d’arrangements avec une âpre réalité. Lorsque la vieillesse les rapproche, les confessions des uns se frottent aux réminiscences des autres, et le passé resurgit peu à peu, recréé par la mémoire ancienne intacte. Au milieu des souvenirs inventés, des pieux mensonges et des illusions, la vie de René et de Madeleine émerge et se recompose comme un puzzle. Leur œuvre commune achevée, ils peuvent sortir du cadre et réinventer une vie qui aurait pu exister si le destin avait décidé d’un autre aiguillage.
Ce joli roman, qui est aussi à sa manière une enquête sur le passé, sur les ravages des guerres qui n’en finissent pas de hanter ceux qui les ont vécues, est une ode à la deuxième chance. Avec des souvenirs qui s’entremêlent et l’amour qui s’en mêle, la vieillesse n’est pas l’âge des trop tard, si elle s’autorise la naissance d’un nouveau présent et la levée des dernières barrières. Il reste encore à expérimenter toutes les possibilités de l’existence dans une réalité tirée au clair et délestée des regrets. La vie, quoi.