Nous sommes en Russie en 1991. La situation est d’une extrême confusion. Le mur de Berlin est tombé il y a moins de deux ans et l’URSS est en train de se dissoudre sous nos yeux. Nous gardons tous en mémoire cette photo de Boris Eltsine, récemment élu président de Russie, debout sur un char pour s’opposer à un coup d’état mené par les hiérarques de l’Union soviétique. Ce jour-là, les Russes sont sans doute passés tout près d’une guerre civile qui aurait changé la face du monde.
C’est dans ce moment où l’Histoire se fait qu’Olivier Rogez choisit d’installer son histoire romanesque bâtie autour de deux personnages principaux : Iouri Stepanovitch lieutenant colonel du KGB dont il est une des éminences, et son neveu Anton qui reçoit des visions prémonitoires, apportant cette touche d’irrationnel et de fatalisme si propre à l’âme russe.
Aux côtés de Iouri Stepanovitch, cynique mais intègre, dont les doutes, les craintes et les incertitudes sont décrites avec subtilité, on plonge dans ce temps chaotique ou les grandes manœuvres politiques se nourrissent de luttes de clan, de rivalités personnelles, de connivences plus que louches entre politiques, mafieux et hommes d’affaires sans morale qui vivent dans un monde ivre de vodka et de dollars. Tout cela est décrit avec une précision et une justesse remarquables. Le journaliste qu’est aussi Olivier Rogez n’est pas loin.
Et puis il y a Moscou, l’autre grand personnage de ce livre. Moscou en ébullition où l’on rencontre à la fois des artistes exaltés, une jeunesse qui rêve de liberté, un chauffeur de taxi qui distille de la vodka à l’arrière de sa voiture, ou cette délicieuse Anastasia Alexandrovna, veuve d’un éminent scientifique que Iouri prend sous sa protection et qui dégage une humanité tellement nécessaire dans ce monde à la dérive.
Et évidemment, il y a les femmes. Aliona, Kallista, Héléna, Ah ! Héléna, si belle, si sensuelle avec sa peau diaphane et son regard impénétrable, qui existe autant pour aimer les hommes que pour les faire souffrir…
Aux confins du documentaire, du roman historique et du roman d’espionnage, « Les hommes incertains » se lisent d’une traite. Olivier Rogez a beaucoup de talent. Et ça, c’est certain.