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On s’en fout des bonnes histoires. Il y en a partout
La première fois, Philippe Lançon, s’était avancé masqué : en 2004, son roman Je ne sais pas écrire et je suis un innocent était paru sous le pseudonyme de Gabriel Lindero. Comme dans Les îles, il y était question de Cuba. « C’est lié à beaucoup de choses dans ma vie, professionnelle et privée », explique-t-il. On s’en doutait un peu : le narrateur des Iles s’appelle… Philippe Lançon. « En fait, c’est surtout moi dans le prologue. Pour le reste, je lui prête beaucoup de choses que j’ai pu vivre ou croiser, mais je ne dirais pas que sa manière de penser est systématiquement la mienne. Le narrateur est une conscience molle et un peu dépressive, dont la dépression lui permet, par association de souvenirs, d’idées et de choses concrètes, d’accueillir un tas de personnages et l’histoire dont il est question. »
L’histoire envoie à Cuba, pour des vacances, une avocate de Hong-Kong (une autre île). Jad, pendant ces vacances où elle est accompagnée par Jun, une amie londonienne, devient folle. Rien ne semblait l’y prédisposer. Rien non plus n’aurait dû conduire le narrateur, épris de normalité, à écrire sur la folie de Jad si Marylin, originaire de Cuba et qui a été sa femme, ne l’y avait poussé.
Philippe Lançon imagine bien les îles capables de rendre fou. Ou plutôt, précise-t-il, « au sens où elles permettraient d’aller vers quelque chose qui ressemble à une vérité. L’insularité, c’est banal de le dire, renvoie à la solitude. On finit toujours par se cogner à cette mer qui est autour. Comme ce sont des îles tropicales, s’y ajoute la chaleur suffocante et saturante qui enveloppe les personnages. Cela renvoie à des états de solitude qui, à mon sens, sont les seuls dans lesquels on peut accéder à certains aspects d’une vérité sur soi. »
Le romancier transporte avec lui les îles qui lui sont chères. « A force d’avoir été arpentées, imaginées, rêvées, fictionnées, étudiées sous l’angle du reportage, aimées sous forme de femmes et autres, elles deviennent des appendices de la manière dont je peux vivre les choses, aborder à la fois les gens, les paysages et les événements. »
Philippe Lançon semble transporter aussi avec lui la littérature qu’il aime, et dont il parle dans Libération. Les îles est un roman farci de ses lectures. « J’espère que c’est sous forme très concrète. Les livres, dans l’esprit du narrateur, ne sont absolument pas des références. Ils sont tombés de leur bibliothèque et ils sont présents concrètement, sensuellement dans la vie. Par exemple, quand Jun, paniquée par ce qui arrive à son amie, s’obstine à lire Wittgenstein, elle le fait par chagrin, parce que son mari mort s’y intéressait, et pour trouver des solutions. Mais Wittgenstein en soi n’a aucune importance, et d’ailleurs elle n’y comprend rien. »
Si Les îles nous raconte une histoire, c’est surtout un roman dans lequel la mélancolie du narrateur incite à une sorte de méditation lente. La lenteur convient d’ailleurs à sa lecture, puisque celle-ci engage une réflexion sur l’existence, sans esprit de système mais en utilisant au mieux les événements pour rebondir d’une direction vers une autre.« Est-ce que c’est une bonne histoire ? On s’en fout, des bonnes histoires, il y en a partout. Mais à partir de là, le narrateur procède, à sa façon, à un véritable examen de conscience. » Et c’est le cœur du livre.
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