D’où est-ce qu’on est ? Sur quoi repose notre être social, intime, quelles histoires nous fondent ? Dans ce roman qui frôle la dystopie, Denis Lachaud s’empare de la question brûlante de l’identité, imaginant une France d’aujourd’hui où certains citoyens deviendraient du jour au lendemain des indésirables. Une histoire captivante, jamais manichéenne, haletante comme un roman noir et terriblement d’actualité.
De la normalité au cauchemar
Les Herbet sont une famille comme les autres : le père, la mère et leurs trois enfants de dix à vingt ans habitent un pavillon marseillais. Un jour, un courrier arrive par la poste qui vient faire basculer leur vie : tous les cinq sont convoqués à la préfecture des Bouches-du-Rhône. Là, le fonctionnaire qui les reçoit pose aux parents la question de leurs noms, tous deux francisés dans les années 1970 : Monia Cadiou est née Kadir et Paul Herzberg est devenu Herbet. Si Célestin, Yseult et Rico savent que leur père est juif, ils ignoraient jusque-là ce qu’il en était de la branche maternelle : une révélation stupéfiante. Après une seconde convocation préfectorale, un drame survient qui force l’aîné de la fratrie à fuir, à tout quitter, maison, ville, études, pour échapper au sort qui a échu au reste de sa famille. De Marseille à Sète, en passant par Arles et Narbonne, Célestin veillera dans sa cavale à ne pas se faire repérer par une milice d’un nouveau genre qui semble sévir dans tout le pays. En dire davantage gâcherait le plaisir de la lecture qui repose sur un suspens digne d’un bon thriller.
Ce roman extrêmement efficace instaure un climat de suspicion généralisée et d’angoisse, inversant les valeurs de la société et soulevant le problème de l’arbitraire et de l’oppression de l’autorité. On n’est jamais à l’abri sous les certitudes et l’ignorance, et le héros exilé en son propre pays souligne le rôle vital de la transmission familiale et historique ; ne pas connaître son passé, c’est être « déséquilibré ». D’où l’importance des récits qui nous construisent et comblent aussi les interstices où les fantasmes et les préjugés ont vite fait de se loger. Ici, tout sonne juste, et c’est précisément ce qui est effrayant.