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nuit blanche
Les Prépondérants, le cercle des colonisateurs disparus
La lecture des Prépondérants m’a beaucoup fait penser aux pâtisseries orientales qu’un ami tunisien nous offrait régulièrement. Parfumées, sucrées et si bonnes que nous en mangions jusqu’à l’indigestion. Le roman est de cette veine, à la fois très riche et très addictif, à condition de ne pas avoir peur de l’indigestion. Car le récit fourmille d’histoires centrées sur une tranche bien particulière de l’histoire. Nous sommes au sortir de la Grande Guerre, au moment où se redessine la carte du monde et où s’annoncent d’une part les mouvements de libération et d’autre part les nouveaux cataclysmes. Ce roman-monde, comme le définit l’auteur, est découpé en trois parties. La première, intitulée «Le choc», est située au début des années 1920. Puis vient «Le grand voyage», qui se déroule de l’hiver 1922 au printemps 1923, et la troisième, titrée «Un an après», nous conduit en juin 1924. Le choc dont il est question au début du livre, c’est celui que provoque l’arrivée d’une équipe de tournage américaine à Nahbès, cette ville imaginaire d’Afrique du Nord. Jusque là les rôles semblaient bien définis entre les «gentils colonisateurs» venus apporter prospérité et développement, civilisation et sécurité et les «gentils autochtones» prêts à accepter l’aide de ces blancs et à travailler pour eux, voire avec eux. C’est du moins l’opinion dominante au club des «Prépondérants», qui rassemble les plus aisés des colons et les autochtones. Seulement voilà, Hollywood-sur-Nahbès, c’est un peu le chien fou dans le jeu de quilles. Les belles règles établies jusque là vont voler en éclats. Les dollars et les «les rires et les cris trop libres de ces femmes d’outre-Atlantique» vont déstabiliser les Français avant de contaminer les Nord-Africains. Les grands thèmes que sont le colonialisme et le droit à l’autodétermination, la place de la femme dans la société et notamment dans la société arabe, la montée des périls et la notion de progrès, y compris sur le plan politique son tici incarnés par une galerie de personnages particulièrement bien campés. La première à entrer en scène est Rania, fille de Si Mabrouk, un grand bourgeois de la capitale. Cultivée, grande lectrice et curieuse de tout, elle entend s’émanciper des traditions séculaires. « Rania s’intéressait beaucoup à ce que faisait Kathryn, elle demandait à Gabrielle s’il était vrai que les Américaines avaient autant d’amants que leurs maris avaient de maîtresses. » Face à elle, il y a Raouf, également fils de notable, qui va se chercher un avenir dans un nationalisme qui donnerait sa chance à tous. Même si cet engagement est avant tout rhétorique, car il lui faut d’abord conquérir le cœur de la belle actrice Kathryn Bishop. Du côté des progressistes on ajoutera Ganthier, un ancien officier, qui imagine un empire colonial de cent millions d’habitants, mais où chacun aurait les mêmes droits. Une position qui hérisse la majorité des Prépondérants qui voient d’un très mauvais œil ce souffle de liberté, attachés qu’ils sont au respect des traditions et des valeurs : « Pagnon, Doly, Laganier, une demi-douzaine d’officiers, autant de fonctionnaires, beaucoup de colons, ainsi que des commerçants et artisans. » La belle idée de l’auteur est de confronter à l’occasion d’un grand voyage – la seconde partie de l’ouvrage – quelques idées développées à Nahbès avec la réalité du terrain. Quand, par exemple, le groupe se rend en Allemagne en passant par l’Alsace et découvre à quoi peut ressembler un territoire dont l’occupant s’est retiré. Mais aussi combien le sentiment de revanche peut se développer auprès d’un peuple qui vit dans la misère et doit s’acquitter de réparations exorbitantes. Une époque charnière qui va annoncer les grands bouleversements à venir. Rendons enfin à Hédi Kaddour une autre grande qualité, celle d’enrober ses pâtisseries d’un sucre fin, d’observations et d’anecdotes qui viennent enrichir la récit. L’histoire du stock d’huile ou de la chamelle en chaleur ou encore l’anecdote de la machine à écrire sans accents récupérée par l’administration française pour n’en citer que quelques vous amuseront autant que la description des tournages. Un régal ! Retrouvez Henri-Charles Dahlem sur son blog |
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