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coup de coeur
« Les services compétents » de Iegor Gran
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Poursuivi par le KGBIegor Gran raconte l’histoire de son père, le dissident russe André Siniavski, victime d’une traque littéraire orchestrée par le KGB sous Khrouchtchev. Le roman relate la répression systématique de toute littérature dissidente, en même temps qu’il fait la peinture d’une époque et d’un pays communiste pris dans ses paradoxes. Burlesque, ironique et instructif, en un mot passionnant, « Les Services compétents » est l’un des meilleurs livres de cette rentrée. C’est en 1959, six ans après la mort de Staline, que paraît en France dans la revue « Esprit » un traité d’esthétique ironique sur le réalisme socialiste. Suivront d’autres textes de style fantastique signés du pseudonyme d’Abram Tertz. En URSS, les services secrets sont sur les dents, le lieutenant Ivanov le premier, chargé de la propagande antisoviétique. Il faudra presque sept ans, le déploiement de dizaines d’agents indicateurs, de mises sur écoute, de filatures, de fausses pistes et d’impasses pour démasquer l’auteur qui se cache derrière une œuvre clandestine largement diffusée. Après l’affaire Pasternak, dont « Le docteur Jivago » circule sous le manteau malgré les interdictions, cette histoire entame la crédibilité du KGB et met au jour les failles du système soviétique dans lesquelles s’engouffrent les hommes et les idées rebelles. La littérature est une de ces voies de contestation et de dénonciation, et grâce à un réseau d’intellectuels français et italiens, nombre de textes passent entre les mailles de la censure, quitte à revenir ensuite clandestinement dans le pays d’origine. En effet, malgré l’action soutenue de la police, la société entière se livre au plus grand marché noir qui soit, s’échangeant livres, disques, films et même jeans américains. Iegor Gran n’avait que neuf mois lorsque son père fut arrêté en 1965 avec un autre auteur, Youli Daniel, or son travail de reconstitution est remarquable, les personnages des services secrets sont particulièrement bien campés, pétris des mêmes contradictions que leurs concitoyens, usant des mêmes passe-droits, corruption ou contrebande. Souvent la fiction rejoint la réalité dans le surréalisme des situations et des dialogues, le tout dans une écriture enlevée, parodique et irrévérencieuse.
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