Son art ne sera jamais compris que par ses frères, les artistes très artistes, et des heureux du petit peuple, du tout petit peuple.
1888, 1889, 1890, trois années de la vie d’Hugo Boch (des Villeroy & Boch) sous la forme de sa correspondance avec son ami d’enfance Tobias, sa cousine Hazel (et quelques autres, brièvement). Roman entièrement épistolaire, qui ne cesse d’émerveiller son lecteur et pousse toujours un peu plus loin, un peu plus fort, qui parvient à surprendre avec une profondeur psychologique inattendue et une intrigue au cordeau. En mêlant personnages de pure fiction et réalités historiques, Anne Percin signe avec ces Singuliers un roman éblouissant ! Dès la page 17, je suis tombée sous le charme d’Hazel : une demoiselle qui débute sa première lettre par « Mon petit bonhomme, ne crois pas que tu puisses t’en tirer comme ça » et qui la termine par « Ta fulminante » (sans compter les si charmants oufti ! qui lui échapperont par la suite) ne peut que séduire le lecteur; une cousine tendrement chérie, qui reste proche quoi qu’il arrive, qui s’accroche, s’obstine, se débat avec la misogynie qui règne en maître, un peu trop grande, beaucoup trop libre, rieuse et travailleuse. Une artiste, bien sûr, comme Hugo, comme Tobias, la peinture, la photo, les peintres, la construction de la Tour Eiffel, le Paris de Toulouse-Lautrec, la Bretagne, la Belgique, Gauguin, les Van Gogh (Fan Ror), la mort qui plane, toujours, qui gagne, parfois. Peindre. (Adage asséné à tous les première-année : « Ne touchez pas à la couleur, elle rend fou !« ) Tout est vivant, vibrant, limpide.
Au milieu du sérieux de cette rentrée littéraire de septembre 2014, ce roman est un agréable bol d’air, voyage au pays des artistes à la fin du XIX ème siècle, à la croisée des chemins entre académisme, impressionnisme, naturalisme et courant des nabis, de Pont Aven à Bruxelles en passant par Paris. A travers la correspondance de trois amis, trois jeunes artistes en quête de leur « singularité », c’est toute une époque qui renaît et avec elle, un Paris en pleine transformation, les querelles des milieux artistiques ou encore la petite communauté des peintres de Pont Aven, bien décidés à imposer leur vision de la peinture en plein air.
En 1888, Gauguin rêve de tropiques et s’impatiente de voir enfin sa cote s’envoler et ses toiles se vendre ; Vincent Van Gogh est dans le sud de la France, déjà bien affaibli par les crises qui l’ont conduit à l’hôpital ; la Tour Eiffel est en construction, Montmartre n’est qu’une vaste friche aux logis insalubres, celui qu’on appellera plus tard « Jack l’éventreur » sévit dans les rues de Londres… Hugo Boch, un jeune belge issu d’une grande famille de fabricants de faïence préfère rejoindre Pont Aven plutôt que de poursuivre son cursus aux Beaux Arts. Il se cherche, doute de son talent, tente de trouver sa voie. Il prend ainsi de la distance avec ses parents et la pression qu’ils exercent sur lui afin de le voir rejoindre l’entreprise familiale. Hugo fait part de ses doutes et de ses nouvelles expérimentations – la photographie, elle aussi en pleine mutation grâce à l’invention de la pellicule – à travers une correspondance riche et fournie, entretenue avec Hazel, sa cousine, apprenti peintre elle-aussi à Paris et avec Tobias Hendrike, son ami d’enfance, un artiste tourmenté et handicapé par de terribles crises de migraines. Au fil de leurs échanges, c’est toute la difficulté de s’affirmer en tant qu’homme, en tant que femme (la figure de Hazel est à ce titre extrêmement émouvante, petite bonne femme bien décidée à suivre sa voie dans un univers encore masculin et misogyne), en tant qu’artiste mais également en tant que fils qui transparaît. L’auteur dessine des portraits attachants de personnages que l’on a envie de voir réussir. Des personnages fictifs qui se fondent dans l’univers artistique de l’époque pour mieux le faire découvrir au lecteur. Précarité, humiliation de la critique… Il n’est pas facile de vouloir affirmer son univers face au conservatisme des Académies officielles, que ce soit en Belgique ou en France. Aux côtés d’Hazel, d’Hugo et de Tobias, on croise Toulouse-Lautrec, Emile Bernard ou Odilon Redon, on les accompagne aux obsèques de Van Gogh à Auvers sur Oise, Van Gogh dont une seule toile fut vendue de son vivant, achetée par Anna Boch, cousine d’Hugo. Et l’on suit avec intérêt et empathie le chemin de chacun vers sa vérité.
Anne Percin mêle avec talent personnages réels et inventés pour faire de ce roman épistolaire un bel hommage aux artistes et à leur courage face aux obstacles qu’ils doivent surmonter. Elle rend ainsi leur œuvre plus vivante. Ce roman dont on parle peu parmi les centaines de parutions de ce mois mérite de trouver un vrai public. « Les singuliers » a droit à un succès pluriel.
Voici une belle découverte de la rentrée chez Rouergue Editions. Si comme moi vous aimez le monde de la peinture, vous allez adorer. Voici, en effet une belle façon de revivre de façon originale cette période de 1888 à la fin du dix-neuvième siècle. C’est la période où les singuliers, peintres souhaitant quitter l’académisme vont se remettre en question, prendre l’air et la lumière en migrant à la belle saison à Pont-Aven.
Grâce à ce récit épistolaire, nous allons passer quelques années en compagnie d’un jeune peintre belge au départ. Libre, artiste qui quitte sa riche famille de La Louvière pour explorer son art et devenir peu à peu photographe. On parle ici d’un ancêtre de la célèbre famille de faïencier Boch-Villeroy. Notre ami Hugo échangera des courriers avec ses cousines Anna (co-organisatrice de l’expo des vingts) et Hazel, peintre elle aussi.
En leur compagnie, nous partagerons des moments de la vie de Paul Gauguin, Van Gogh, Cérusier mais aussi James Ensor, Toulouse Lautrec et bien d’autres.
Nous partagerons aussi cette fin du dix-neuvième et serons spectateurs privilégiés de la construction de la Tour Eiffel, de l’exposition universelle, de la construction du Moulin Rouge , nous revivrons également l’affaire de Jack l’éventreur qui fit couler beaucoup d’encre à l’époque.
Un roman où les personnages réels et de fiction se côtoient, un livre très bien documenté. Allez, venez vous aussi vous installer à la pension Gloanec de Pont Aven et faire un petit saut dans le temps. Vous ne le regretterez pas, j’y ai passé un très bon moment.
C’est très agréable à lire. J’ai aimé le style d’Anne Percin que je ne connaissais pas. Elle écrit essentiellement pour la jeunesse. Je vous en reparlerai sans doute très vite car je viens d’acquérir son premier roman qui vient de sortir chez Babel « Le premier été ».