Il n’y a aucun doute, L’été des charognes porte bien son titre ! Bon, vous ne vous apprêtez pas à passer à table ? Non ? Très bien, alors, on y va.
Allez, je dirais, dans les cinquante premières pages, vous passez… de la lapidation d’un chien à la dégustation du fromage aux asticots (gentil hein, mais attendez un peu pour voir), à la description des cadavres de quarante-six brebis qui pourrissent au soleil et dans lesquelles les gamins jouent à se pousser (eh oui, l’équarrisseur ne peut venir avant deux semaines…), un extrait pour voir ? Allez, courage : « … il y en a un en trébuchant qui est tombé sur les brebis mortes. Les bras en avant sur le tas gluant, il a fallu qu’on le tire par le col de sa chemise pour le sortir de là tellement les corps s’étaient mélangés en un amas de pourriture grasse, où il pouvait pas s’appuyer pour sortir et s’enfonçait un peu plus à chaque essai. Nous on hurlait de rire tellement c’était drôle qu’il soit recouvert de cette chose pire que de la merde, et puis quand il s’est approché les moins accrochés ont vomi. Il en avait partout presque jusque dans la bouche, plein ses bouclettes blondes du jus marron dégueulasse et des asticots collés sur les mains, même pour la pêche, on les aurait pas pris ceux-là. »
Ça va ? Vous êtes toujours là ?
Continuons !
Ensuite, on assiste à l’enterrement de Didi une femme chez qui les gamins allaient regarder la TV. Elle a laissé un cochon, qu’il faut manger et donc qu’il faut tuer… scène suivante, je vous le donne en mille : la mort du cochon (je vous en fais grâce), puis, c’est le tour des agneaux qu’il faut tuer… on passe au labo, une petite pièce de la bergerie…
Et là, on arrive à la page 50 et soudain, le rythme un peu éprouvant se calme, on souffle, je dirais presque, on respire…
L’été des charognes est un récit d’enfance puis d’adolescence : dans une campagne loin de tout, des gens très pauvres vivent plus ou moins coupés du monde. Ils élèvent des bêtes, les mangent, en vendent quelques-unes : « J’ai grandi à La Fourrière, c’est le nom du bout de goudron qui finit en patte d’oie pleine de boue dans la forêt et meurt un peu plus loin après les premiers arbres. La Fourrière, c’est nulle part. Le père, il s’est mis là parce qu’il dit qu’au moins, à part ceux qui ont quelque chose à faire ici personne ne l’emmerde en passant sous ses fenêtres. Il y a trois maisons, la mienne, celle de Jonas et sa famille et celle de la grosse conne qui a écrasé mon chat, celle à qui il était le chien qu’on a défoncé avec les pierres et qui vient que de temps en temps pour faire ses patates et pour faire chier. »
Les gamins s’amusent comme ils peuvent, c’est la misère : on boit, on se bagarre, les mômes ramènent les parents en voiture les soirs de beuverie, puis, un jour, ils quittent le pays pour aller voir ailleurs si ce n’est pas mieux.
Finalement, ils traînent partout où ils vont la mouise de leur enfance, ne trouvent pas de travail, se droguent, se battent, errent sans but et se perdent …
J’ai aimé ce texte, la cruauté qu’il met en scène, la violence qu’il nous lance à la figure, la brutalité qui nous assomme à chaque phrase, chaque mot.
L’écriture est puissante, crue, âpre, poétique aussi. C’est sombre à souhait, terrible, désespéré et beau à la fois. Il y a du Céline et du Del Amo de Règne animal dans L’été des charognes.
Cependant, j’ai trouvé que les premières pages « en faisaient trop » : on passe sur un rythme effréné d’une scène insoutenable à l’autre et l’on entend l’auteur nous dire : attention, en voilà une autre, tenez-vous bien, encore une « grande scène » ! C’est un peu forcé, démonstratif donc artificiel et, il faut bien le dire, on sature très vite.
Attention, ces scènes, en elles-mêmes, sont fortes, puissantes : pas de doute, on y est, on les voit, on les sent (!), mais le problème, encore une fois, c’est le rythme. Trop serré. La narration perd de sa crédibilité, on décroche un peu. On a presque l’impression de lire des « morceaux choisis », une espèce d’anthologie de la cruauté. J’aurais préféré connaître davantage les personnages, leurs rapports entre eux, leur quotidien … sans forcément qu’il y ait de l’hémoglobine.
La seconde partie qui évoque l’adolescence du narrateur à travers son errance urbaine dans les brumes de l’alcool et de la drogue est plus posée. On reprend son souffle, même si l’on reste dans un univers glauque et halluciné. L’écriture se fait plus poétique, les phrases s’allongent. Deux livres en un donc.
Simon Johannin, jeune auteur de 23 ans, promet.
Je retiens son nom et lirai à coup sûr son prochain roman.
Car il a du talent, c’est certain !
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