Imaginez que vos vieux mails, ceux que vous croyiez effacés une bonne fois pour toute refassent surface non pas dans votre propre messagerie mais dans celle de votre voisin… Imaginez que vos historiques de navigation sur internet apparaissent brusquement sur l’ordinateur d’un illustre inconnu… Impossible ? Vous êtes sûr ? Benoît Duteurtre, lui, n’hésite pas à tirer les fils tendus par les questions que tout le monde se pose autour de la protection des données et de la vie privée… jusqu’après la mort.
Nous sommes dans une veine fantaisiste mais… pas tant que ça. Un homme public piégé par une caméra qui n’était pas sensée être en train d’enregistrer, un trait d’humour qui vire au lynchage médiatique, des associations « bien-pensantes » qui montent immédiatement au créneau, les réseaux sociaux qui s’emballent jusqu’aux initiatives totalement fantaisistes de quelques opportunistes décidés à surfer sur le buzz du moment… Jusque là , rien que de très banal. Pourtant, Simon Laroche, la victime de ce piratage, un haut fonctionnaire à la carrière sans tache, va voir son existence totalement bouleversée, jusque dans l’au-delà .
Benoît Duteurtre dépeint une société conformiste et contrainte, menacée par le « grand dérèglement » et les révélations qu’il induit. Faut-il profiter de ce déballage pour prôner la transparence totale ou, au contraire défendre bec et ongle le droit à la vie privée ? Et puis qui est derrière tout ça ? Piratage ou immense bug ? Comment savoir ? Pour Simon, la situation agit comme un révélateur. Confronté aux peurs de son entourage (peur du déclassement du côté de sa femme et de son fils, peur de l’opinion publique du côté de son ministre de tutelle), il se retrouve seul face à lui-même.
Mais les problèmes dépassent largement le cadre de la vie terrestre. Dans l’au-delà aussi les récents arrivants (les morts, si vous préférez) se retrouvent également confrontés aux traces qu’ils ont laissées, au moment de l’examen de leur dossier qui présidera au choix de leur destination définitive. Par delà les nuages (le cloud, donc…), le Paradis ressemble étrangement à la vie sur terre, formaté par ses hôtes successifs chantres de la société de consommation et du capitalisme… L’Enfer, par contre…
N’en disons pas plus pour ne pas rompre le charme. Sous couvert de fantaisie et de légèreté, les questions sont parfaitement posées quant au type de société que nous créons nous mêmes sans forcément en mesurer toutes les conséquences. L’auteur travaille dans les médias et cela se sent, la trame sonne parfaitement juste et donne une bonne structure au propos. Après avoir refermé ce livre, le sourire aux lèvres, peut-être réfléchirez vous un peu plus aux traces que vous laissez un peu partout…
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