Minette Galandeau a 88 ans. De nos jours, une petite vieille de cet âge-là passerai plutôt inaperçue. Chez Minette, cette discrétion est tout sauf un hasard. Car notre petite mémé est une ex-braqueuse, recherchée par la police, de retour en France car la prescription ça a du bon. Mais la police n’est pas forcément la source d’inquiétude la plus grande pour Minette, elle ne les a pas baladé depuis 60 ans aussi facilement pour rien !, c’est plutôt du côté des fils de l’ancien compagnon de route soupçonné de trahison et à juste titre trucidé par le groupe dont elle faisait partie que le bât blesse. Et puis, Alzheimer ne facilite pas les choses…
Partant de la phrase de Desproges (ou de Woody Allen – je ne sais pas qui en a la paternité) « ce n’est pas parce que je ne suis pas paranoïaque qu’ils ne sont pas tous après moi », Anouk Langaney nous offre le journal intime de Minette depuis l’apparition de sa maladie d’Alzheimer, journal qu’elle tient sur les conseils de son médecin :
« C’est ça qu’il faut que je note, m’a dit Granger. « Les noms, les dates, les menus évènements ». Un aide-mémoire. « Ne le voyez pas comme une prothèse, c’est plutôt un stimulant », il a dit.
Je m’appelle Gisèle Léonce Mathurine Teillard, épouse Galandeau ? Je suis née à Melun, le 6 janvier 1920.
Ce mardi 24 octobre, j’ai pris conscience que j’étais vieille, seule, impuissante, puis j’ai voulu mourir. Un con de médecin m’a sauvé la vie et conduite aux urgences. J’ai quitté l’hôpital le jeudi 9 novembre.
Nous sommes le vendredi 10 novembre. Je suis atteinte de la maladie d’Alzheimer.
Voilà pour les noms, les dates et les menus évènements.
C’est fou ce que je me sens stimulée. »
Minette va voir débarquer dans son entourage un voisin bienveillant mais particulièrement dangereux et mystérieux, un cousin pratiquement sorti du néant dont l’existence est avérée mais qu’elle n’a jamais vu, une assistante-infirmière peu scrupuleuse au passé trouble, toutes ces personnes venant exacerber sa paranoïa déjà chronique, toutes soupçonnées tour à tour d’en vouloir à son bas de laine (qui se chiffre tout de même en plusieurs millions d’euros).
Tout le piment du livre, outre le style enlevé, drôle et décalé d’Anouk Langaney et son talent pour décrire les scènes et tailler des costards aux personnages, tient dans cette incertitude dans laquelle est maintenue le lecteur qui ne sait jamais vraiment si la paranoïa de Minette, qui va croissant, prend sa source dans son ancienne vie tumultueuse et illégale ou dans son Alzheimer, si elle perd totalement la boule notre petite mémé ou si elle conserve toute son acuité intellectuelle… sentiment du lecteur d’autant plus exacerbé qu’elle tient dans son journal un discours totalement cohérent avec des bribes de pertes de mémoires grandissantes, dont elle a d’abord conscience pour ensuite ne plus s’en soucier ou ne plus s’en rendre compte. Mais est-ce voulu par Minette comme une fausse piste ou non ?
Persuadée que son faux neveu et que son assistante de vie en veulent après son fric (planqué sur des comptes off-shore : ce n’est pas parce qu’on commence à sucrer les fraises qu’on n’a pas droit à son petit compte bancaire défiscalisé. Et ce n’est pas parce qu’elle ne se souvient plus de numéro de compte que ce n’est pas quelqu’un d’autre qui essaie de consulter ses comptes sécurisés…), elle mettra au point un plan savant pour s’en sortir. Y arrivera-t-elle ou non ? Je vous laisse le plaisir de vous procurer ce livre dans toute bonne librairie pouvant vous le commander et de savourer cette histoire de mamie rock and roll, haute en couleur, qui n’a pas froid aux yeux devant un flingue ou un espèce de mercenaire aussi brutal que peu moral ou scrupuleux (ce n’est pas à une vieille guenon qu’on apprendra à faire la grimace même si elle décline du ciboulot).
Et puis, il y a un côté très drôle dans le récit d’Anouk, parce qu’en décalage avec une réalité normée, consistant à traiter la possession d’un flingue (que ce soit Minette ou Simon ou Eddy) ou l’assassinat d’un ou d’une voisine (et son « enterrement » dans le puits du jardin) comme une chose tellement naturelle et quotidienne que les personnes et les faits normaux s’effacent alors complètement dans un no man’s land de l’histoire, sorte d’oubliettes littéraires ou de cimetière de la normalité.
Anouk Langaney a parfaitement construit son histoire, parfaitement tenu le rythme du début à la fin, parfaitement mené ses personnages (mentions spéciales à Minette et Simon, à Poulet aussi même s’il n’apparaît pas physiquement dans l’histoire ou à Félix) jusqu’au dénouement, parfaitement maintenu son style tout au long du récit avec des phrases drôles qui font mouche à chaque fois et qui s’enchainent les unes après les autres : un vrai moment de bonheur et d’humour (noir). Ce serait dommage de ne pas en profiter ! Et ce n’est pas parce que je commence à connaître (et apprécier) Anouk que ce livre n’est pas un vrai bon polar humoristique délirant et que ce billet n’est pas honnête…
« Ce gars a dû servir de prototype pour le dépôt légal du label « brave garçon ». C’en est presque gênant. A cinquante ans passés il sent encore le scout. »
« Quand on a tellement l’habitude de mentir et de se cacher qu’on en arrive à travailler son texte pour dire la vérité à une personne honnête, c’est sans doute qu’on s’est aventuré un peu loin au-delà des glissières de sécurité. »