Etonnant roman, qui brosse un portrait de Robespierre en ses dernières années.
Chacun connaît plus ou moins l’homme des manuels scolaires : l’implacable révolutionnaire qui envoya sans ciller les ennemis de la République se faire guillotiner à tour de bras; l’exact opposé de Danton, cet être paillard et débraillé qui mordait la vie à pleines dents, tandis que Robespierre, d’une inquiétante froideur, ne goûtait aucun des plaisirs terrestres et ne semblait s’animer d’une flamme humaine que lorsqu’il montait à la tribune pour déployer son éloquence…
C’est bien ce personnage que l’on retrouve sous la plume d Alain Absire : un être privé de toute forme de sentiment, gouverné par ses seules préoccupations politiques. Cependant, on y découvre un homme plus complexe qu’il n’y paraît, un homme qui, orphelin dès son plus jeune âge, ne sait reconnaître ni encore moins exprimer ce qui s’apparente à de l’émotion, de la tendresse, de l’attirance.
Tandis qu’il fait la connaissance de Marie, céroplasticienne de son état, à qui il amène le plus ancien prisonnier de la forteresse de la Bastille afin qu’elle en immortalise les traits en symbole de l’iniquité du régime en train de tomber, il perçoit un trouble qui le met profondément mal à l’aise. Bien qu’il s’en défende, il ne cessera dès lors de rechercher la compagnie de cette femme, allant jusqu’à la seconder lorsqu’elle modèlera toutes les personnalités, vivantes ou mortes, de cette Révolution en train de s’accomplir.
Incapable de tout contact physique, Robespierre répugne autant qu’il aspire à sentir les mains de cette femme se poser sur son propre visage pour en mouler les contours. Sa mort seule lui permettrait de connaître enfin la satisfaction de son inavouable désir.
Mais sa mort signifierait aussi l’échec du seul combat qui importe, l’avènement de la République, le triomphe du peuple et l’abolition de la tyrannie, combat qui justifie toutes les actions, y compris la condamnation à mort, contre laquelle il s’était pourtant vigoureusement élevé – ce que l’on a aujourd’hui oublié.
Car Robespierre se sent investi d’une mission suprême, qui le dépasse, comme elle dépasse toutes les passions humaines. Tel un prophète, il conduit le peuple vers son émancipation. Le texte d’Absire, à cet égard, est d’une stupéfiante clarté : émaillé d’images et de références religieuses, il transforme peu à peu le glaçant Robespierre en un Christ acceptant le sacrifice suprême de sa propre vie pour la rédemption du peuple régicide.
Mais loin d’en faire un simple illuminé totalement étranger à toute forme d’attachement à la vie, Absire suggère la répulsion qu’il éprouve face à la mort. Jamais Robespierre n’assista à la moindre exécution, et ce n’est pas sans effroi qu’il envisage sa propre mise à mort, qu’il devine inéluctable et que Danton lui avait prédite lorsqu’il passa sous ses fenêtres, dans la charrette qui le menait à l’échafaud.
Sans doute Robespierre devait-il, pour accepter de faire cette ultime offrande, acquérir la certitude d’accéder enfin en mourant à l’inaccessible amour. Non pas celui intellectualisé de l’Humanité – par lequel il était sans doute d’une certaine manière habité, aussi paradoxal que cela puisse paraître -, mais par celui qui nous le rendrait plus humain: l’amour incarné par une femme.
Ainsi Alain Absire nous offre-t-il, dans une écriture absolument magnifique, une nouvelle lecture de cette figure fondatrice de notre République, dont la plupart d’entre nous ne retient plus que le rôle de grand ordonnateur de la Terreur. Mais auquel nous devons aussi les valeurs constitutives de notre identité nationale et qu’il nous appartient, encore et toujours, de défendre avec détermination : Liberté Egalité Fraternité. Existe-t-il en effet plus belle devise et plus noble programme ?