Marie Darrieussecq publie une dystopie qui n’est pas sans évoquer les précurseurs du genre, Ray Bradbury ou George Orwell : dans une société hyper connectée sous surveillance, les humains épuisent la terre et jouent aux apprentis sorciers. Mais c’est par son écriture pleine d’humour, sa narration de l’urgence et ses personnages originaux que ce roman se distingue.
Le monde de Viviane
La narratrice, qui se fait appeler Viviane pour brouiller les pistes, survit dans une forêt (pour combien de temps ?) avec une communauté de fuyards. Avant, elle était psychanalyste, bien intégrée dans une société où chaque individu possède son propre clone en cas de problème de santé, une sorte de « réservoir de pièces détachées » prêt à l’emploi. Celui de Viviane a pour nom Marie ; plus que de la fascination, elle éprouve de l’affection pour sa moitié parfaite, ce que les autorités voient d’un mauvais œil. Un jour, Viviane reçoit en consultation le « cliqueur », un patient dont le métier consiste à enseigner les associations d’idées aux robots, afin de les perfectionner, voire de les humaniser. L’homme présente des signes de fatigue psychique, mais reste muet, jusqu’au jour où il interrompt brutalement les séances.
Marie dans la forêt
Avec l’énergie du désespoir, notre héroïne écrit dans un cahier ses découvertes sur la « société maternante » qu’elle a fuie. Comme elle, quelques révoltés séditieux se retrouvent à la marge, obligés de s’adapter à une nature hostile. Grâce à son témoignage, le lecteur est invité à réfléchir à l’inadaptabilité des êtres engendrés par la science, à l’exacerbation des inégalités, à la surveillance généralisée et l’acceptation des populations à vivre sous contrôle. Rien de bien réjouissant, n’était la personnalité bien trempée de l’héroïne, dont la faconde et l’humour mettent le catastrophisme à distance, sans pour autant minorer le scénario du pire des mondes. Avec quelques trouvailles ingénieuses, comme le personnage du cliqueur, et une ironie féroce, ce roman pense autrement l’essence de l’humain.