« Une gueulante d’amour et de détestation qui se passe de ponctuation » voici ce que contient le livre de Lyonel Trouillot. Une longue lettre d’adieu, d’amour, de vie et de mort à leur ami Pedro qui, parti avec une troupe de théâtre à Paris, aura le mauvais goût de s’y défenestrer.
Ils étaient trois amis qui partageaient une même infortune. Pedro était le plus disert, racontant ses malheurs, sans jamais s’étonner du silence des deux autres. Pourtant, l’Estropié avait de la matière avec son père surnommé « le méchant ». Le narrateur aurait pu parler de ses parents morts lorsqu’un camion fou a dévalé la pente alors qu’ils revenaient du travail. Du jour au lendemain, il s’est retrouvé seul et encore gamin. Pedro, « Un simple porteur des mots des autres », parlait, parlait, allait vers les autres, leur jouait une comédie pour les faire rire, distribuait les pages d’un livre de poésie. Pedro, encore, Pedro, toujours Pedro parlant, gueulant, mais à tant parler, ne cachait-il pas, justement, son mal-être ? A tant parler, il n’y a plus de place pour les questions des autres.
Le narrateur, dans ce long monologue à Pedro, se raconte, raconte l’Estropié, la misère de leurs vies, la misère des haïtiens. « Toutes ces choses que nous ne t’avons pas dites » C’est un long cri d’impuissance, de rage, de détresse, d’amour et d’amitié. On écoute, on parle, mais écoutons-nous l’autre ? L’incommunicabilité est très présente dans ce livre malgré l’amitié très forte qui unit les 3 amis.
Lyonel Trouillot s’entoure de poètes, paroliers pour crier la mort inévitable, la vie, le manque, l’amitié, la douleur, la misère. Un cri pour essayer de comprendre pourquoi les mots ne peuvent pas sauver.
La langue somptueuse de Lyonel Trouillot donne corps à tous ces âmes habitant en bas de la colline, les sans grades, les miséreux dont on ne parle pas souvent, alors que leurs vies sont tout aussi importantes. La mise en scène de l’Estropié, lors de la cérémonie d’adieu à Pedro, est superbe.
Lyonel Trouillot m’a envouté avec son livre. Les écrivains haïtiens, Jacques Roumain, Gary Victor ont une poésie dans l’écriture qui me ravit et m’emporte sur un petit nuage.