Patricia
Geneviève Damas

Gallimard
blanche
mai 2017
136 p.  12 €
ebook avec DRM 13,99 €
 
 
 
 Les internautes l'ont lu
coup de coeur nuit blanche

Une pépite.

Geneviève Damas signe ici un très grand roman, il est court mais très dense. Comme toujours il est empreint de beaucoup d’amour et d’humanité.

Un thème d’actualité difficile, celui des migrants. Un roman chargé d’espoir qui nous montre que nous pouvons agir à quelque niveau que ce soit dans un monde qui perd ses valeurs fondamentales de base; le devoir d’accueil.

Votre regard sur le problème des migrants ne peut que changer après cette lecture.

Le tour de force de Geneviève Damas est que l’on s’éloigne des images malheureusement trop connues et présentes dans l’actualité, le naufrage des migrants et les images des centres. Elle sort de ces clichés pour nous amener ailleurs, vers la question de l’humain.

Ce sont trois personnages, trois voix, trois destins qui s’entrecroisent. Il y a Jean Iritimbi, un centrafricain, Patricia une parisienne d’un milieu aisé et Vanessa, rescapée d’un naufrage. Nous allons vivre leur parcours, leur vie, leur ressenti, leurs émotions.

Jean a quitté son pays il y a une dizaine d’années, il est arrivé au Canada dans l’espoir d’offrir une vie meilleure à sa famille restée au pays, ses femmes comme il dit : Christine et leurs filles Myriam et Vanessa. Il a très vite compris que ce n’était pas gagné de faire comprendre cela au service d’immigration, il est devenu clandestin. Il travaille au Niagara Falls Hôtel, c’est là qu’il croisera la route de Patricia, une touriste parisienne.

Patricia est seule comme lui, alors il tente sa chance. Patricia sera sous le charme , elle fera venir Jean à Paris avec pour lui l’espoir d’une vie nouvelle, son secret enfoui au plus profond de lui.

Jean a besoin d’argent, il joue au casino, trouvera un travail, il doit envoyer de l’argent à ses femmes, il espère qu’ainsi elles auront une vie un peu plus confortable mais il se trompe. Un jour Christine lui apprend qu’elles ont donné l’argent à un passeur et qu’elles arrivent le retrouver. Jean se pose alors des questions partagé entre la joie de retrouver sa famille mais inquiet de ce qu’il reste de l’amour pour Christine.

Vous devinez le drame qui surviendra, un naufrage, seule Vanessa la plus jeune âgée de douze ans est rescapée murée dans un silence et une colère sourde.

L’écriture est magnifique, d’une intensité incroyable, toute en délicatesse et émotions. Ce récit m’a émue aux larmes par son authenticité et l’humanité qu’il dégage. Un roman porteur d’espoir.

Un bijou à lire sans attendre.

Nous ne devons peut-être pas porter toute la misère du monde mais nous pouvons tous à notre niveau faire en sorte que les choses changent, et redonner espoir et écoute à ceux qui ont tout quitté en espérant un monde meilleur.

Un immense coup de ♥♥♥♥♥

Les jolies phrases

La vraie richesse, c’est de rester avec ceux que l’on aime.

Elles disent que ça va, mais je n’en suis pas sûr, il y a de l’inquiétude au fond de leurs voix et, tout à coup, je comprends qu’elles sont en train de devenir comme moi, mes femmes, c’est bien plus qu’un continent que l’on traverse, c’est quelque chose d’invisible qui nous transforme et nous laisse sur le qui vive, à ne plus faire confiance à personne.

Tu mets le pied dans un endroit que tu ne connais pas, un endroit qui ne t’attend pas, un endroit pour lequel tu as tout abandonné et où il faudra, malgré tout, contre tout, faire ta vie.

Au petit matin, je monte dans la voiture, je descends au bout de la terre, tout au bout, et la peur ne me quitte plus, j’arrive à Villa San Giovanni, je prends le ferry, durant la traversée, j’observe les familles, je regarde les mères avec les enfants, les pères aussi, les mains qui se cherchent, les petits qui s’endorment au creux des bras et je pense que tout cela est un trésor que j’ai laissé derrière moi, si j’avais su, si j’avais su, comme j’espère n’avoir pas tout perdu.

Avancer, avancer toujours comme je n’ai cessé de le faire durant ces années, mais avancer pour quoi ? Vers tout ce que l’on perd, vers tout ce qui s’effondre ? Quel sens a encore, ma vie ?

Il faut quelqu’un pour la protéger, l’aider à grandir, lui donner une vie qui vaille le prix de la traversée.

Peut-être que les morts prennent possession de nos vies bien plus qu’on ne l’imagine.

Quelque chose en moi s’est détendu, je m’imagine que le trajet de retour se poursuivra sans accrocs, nous avons fait le plus dur, c’est ça que je me dis, mais je me trompe. J’apprendrai, au fil des jours et des mois, cette alternance de brèves avancées et de violents reculs, ces courts moments de familiarité suivis de longues douches froides qui ne me permettront jamais de savoir où nous en sommes, toi et moi, si j’existe quelque part dans ta vie.

Au début, il paraît supportable, mais au bout de quelques minutes ton silence s’abat sur moi comme un orage. Et je n’entends plus que lui dans la voiture …

J’apprendrai, au fil des jours et des mois, cette alternance de brèves avancées et de violents reculs, ces courts moments de familiarité suivis de longues douches froides qui ne me permettront jamais de savoir où nous en sommes, toi et moi, si j’existe quelque part dans ta vie.

Si je m’écoutais, je poserais ma main sur ton dos pour te rassurer, pour que tu te sentes moins seule, certainement pour m’en convaincre aussi, mais depuis hier j’apprends à retenir mes gestes, ce sera ça aussi la vie avec toi, savoir que j’ai envie de te donner et de te dire, et garder, toujours garder, ne livrer qu’une portion congrue de ce que je voulais t’offrir, pour que tu puisses le recevoir, accepter ce qui t’arrive de moi. Donner à peine pour te laisser toute la place.

Il y a du bruit, beaucoup de bruit, imperceptiblement, tu t’approches de moi, comme si tu cherchais une protection; et ce mouvement ténu me rassure, il y a quelque chose entre nous, quelque chose que je ne peux nommer mais qui existe, qui commence à se construire …

Ce centre, c’est comme une école, avec des docteurs. Pour aller chercher la souffrance coincée à l’intérieur.

J’ai du mal avec le calcul et les conjugaisons. C’est normal, dit le docteur Ronvaux, Vanessa a perdu toute sa famille, elle ne connaît plus que le singulier et la solitude.

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