Catherine Guillebaud donne, chez Confluences, un court roman, Le pays vide. C’est l’histoire de l’effacement progressif d’un écrivain, François Ricci, qui, alors qu’il est parvenu à une honorable notoriété se sent frappé d’impuissance et sombre dans une sorte d’anorexie intellectuelle. C’est sans compter avec son éditrice, Camille, qui a été la première à reconnaître son talent et à le mener au succès ; elle sent bien que son inspiration s’essouffle, et elle le défend avec d’autant plus de passion, mais elle ne peut l’empêcher d’aller jusqu’au terme de l’entreprise de destruction dans laquelle il est entré.
Cet homme qui fut aimé, qui sut exercer sur les autres un vrai pouvoir de séduction, de fascination même, prend conscience des mensonges, des faux-fuyants sur lesquels il a bâti sa vie. Il abandonne un à un les masques qui le constituent et que les autres n’ont pas perçus parce qu’ils se sont laissés prendre au mythe de l’écrivain génial qu’il a alimenté avec complaisance.
Il lui faut fuir. Camille lui fournit un prétexte plausible en l’aidant à obtenir une bourse littéraire au Yemen, sans se faire beaucoup d’illusions sur l’efficacité de cette thérapie. Lorsqu’il arrive sur place, François Ricci semble retrouver une certaine sérénité. « Depuis qu’il est là , il a délaissé ses chemises de lin pour de grandes tuniques de coton blanc qui lui donnent un air monacal. » Mais la solitude, le silence, l’abandon des rites qui lui tenaient lieu, jadis, de carapace fragilisent ses dernières défenses. En dépit d’une amitié inattendue avec un ingénieur français rencontré par hasard, il planifie soigneusement sa disparition, son évanouissement. Est-ce un suicide ? Est-ce le rêve mystique d’une dépossession de soi pour laisser advenir le Dieu qui viendrait à sa rencontre ? Ou la dissolution assumée dans le vide – ultime et tardive vérité ?
Le roman de Catherine Guillebaud est une réussite. Rien de trop. Comme pour laisser place à une question sans réponse. L’écriture est élégante et efficace. Oui, bien sûr, il y a du Rimbaud là -derrière, du Nizan également et dans ce décor oriental quelque chose des dessins de Hugo Pratt. Mais, ici, un ton qui est propre à Catherine Guillebaud. Roman à clés, a-t-on dit à Bordeaux, et cela sonne comme un reproche. J’avoue ne pas avoir été sensible à cet aspect du livre et être seulement entré avec plaisir dans le roman qu’elle nous propose.
