critique de "Qui dira la souffrance d'Aragon ?", dernier livre de Gérard Guégan - onlalu
   
 
 
 
 

Qui dira la souffrance d'Aragon ?
Gérard Guégan

Stock
janvier 2015
280 p.  19,50 €
ebook avec DRM 13,99 €
 
 
 
 Les internautes l'ont lu

A propos d’Aragon

Il y a quelques année déjà, Patrice Lestrohan avait consacré un livre, Le dernier Aragon, (Riveneuve éditions, 2010) à la surprise du petit monde parisien à la découverte, après la mort d’Elsa, d’un Aragon affichant avec provocation une homosexualité longtemps cachée. Cela donnait lieu à une peinture, un peu triste, d’un vieux monsieur entouré d’un essaim de jeunes gens dont le désintéressement n’était pas toujours évident ; mais dont la soif de vivre était presque jusqu’au bout intacte. Plus rien, désormais pour le contraindre à porter un masque – Elsa disparue, Breton mort, le PC moribond…-, plus aucun souci du qu’en dira-t-on. Que la vie soit une fête, même si la vieillesse vient irrémédiablement y apporter son cortège de renoncements. Le livre de Lestrohan reposait sur des entretiens, des confidences inédites, des recoupements de témoignages mais aussi sur des analyses de textes où se pouvaient déceler les déchirements qu’imposait à Aragon l’impossibilité à vivre cette autre facette de sa sexualité.

Gérard Guégan emprunte une autre voie dans Qui dira la souffrance d’Aragon ? (Stock, 2015) – quel beau titre ! -, celle du récit qui maintient l’indécision jusqu’à la fin – s’agit-il d’un roman ou de l’histoire vraie de la passion vécue entre Aragon et Mahé, cet émissaire du Kominform venu à Paris suivre un procès politique dont Marty est le principal accusé ? Guégan connaît bien l’histoire du PCF, il restitue fort bien l’ambiance délétère qui y régnait dans ces années cinquante, son stalinisme sans complexe, son imitation servile des comportements soviétiques. On n’y plaisantait pas avec la morale dont Jeannette Vermersch est la gardienne vigilante et l’homosexualité y était fermement condamnée. Le coup de foudre entre les deux hommes est immédiat. Aragon et Mahé jouent gros, et ils le savent, s’ils étaient découverts, chacun y perdrait sa position et peut-être même, pour Mahé, la vie. Ils s’aiment en clandestins de l’amour, dans les voitures, les parkings et, imprudence suprême, dans l’appartement des Aragon – et si Elsa revenait de Russie à l’improviste ? on pourrait se croire dans un vaudeville. Leur histoire est tragique et certains des vers les plus célèbres d’Aragon prennent soudain une autre résonance – « il n’y a pas d’amour heureux » – par exemple. Aragon tente de se sauver par le jeu avec les mots, il est à la fois l’ensorceleur et l’ensorcelé, comme pour tenir à distance, mais il y échoue, bien sûr, ce qui l’emporte bien au-delà des mots et qui est la force du désir sexuel. Il n’y a pas d’issue, sauf à ce que l’histoire change et lorsqu’elle changera effectivement, il sera sans doute trop tard, il n’est pas sûr que les fantaisies du vieil Aragon effacent à jamais le souvenir de cette passion.
Un beau livre. Plus personne ne risque plus d’en être choqué. Demeure une intensité des sentiments que Guégan rend fort bien.

partagez cette critique
partage par email