Le salaire de la peur – Le voyage du mauvais larron – La plus grande perte
Suivant de près la sortie de « La Serpe » que Phillipe Jaenada a consacré à l’affaire dans laquelle Georges Arnaud a été accusé du triple meurtre sanglant de son père, de sa tante et de la bonne dans le château familial avant d’être gracié (livre dans lequel l’auteur se livre à une contre-enquête des plus minutieuses à laquelle il adjoint ses célèbres et facétieuses digressions parenthésistes) et précédant de peu l’attribution du prix Fémina 2017 à cette même « Serpe », les éditions Julliard rééditent à bon escient les trois romans du dit Georges Arnaud, publiés, pour faire simple, au cours de la décennie des années 50.
Ces publications ont lieu au retour de Georges Arnaud de son exil sud-américain. Cet exil, plus ou moins volontaire, est au cœur de ces trois récits dont le plus célèbre a été mis en images par Henri-Georges Clouzot (peu porté dans son cœur par Philippe Jaenada mais je ne prendrai pas parti, n’ayant pas vu le film) avec Yves Montand et Charles Vanel, entre autres, sous le titre éponyme du « Salaire de la peur ». L’Amérique du Sud prend toute la place dans ces récits aussi différents que complémentaires.
Les trois textes sont présentés dans leur ordre chronologique de parution et forment une progression cohérente dans les aventures vécues par Georges Arnaud tant l’auto-biographie n’est pas loin de ces aventures. Si tout n’est pas vrai, tout est fortement inspiré de la vie de Georges Arnaud sous les latitudes sud-américaines.
Le salaire de la peur ne se présente plus. Je vais donc vous le résumer comme il se doit : quatre hommes, étrangers blancs en terres sud-américaines, sont embauchés par une compagnie pétrolière pour véhiculer de la nitroglycérine jusqu’à un puits de pétrole en feu. Le trajet se fait à travers les montagnes et la forêt sur des routes de plus en plus dangereuses au fil des kilomètres.
Dans ce roman, Georges Arnaud se livre à un récit d’aventures matinées de sensations à l’état brut, presque sauvage. L’enjeu du livre est de faire prendre corps, de donner l’épaisseur de la vie à la tension pure. A travers les difficultés du trajet, les obstacles humains rencontrés lors de la traversée de certains villages, les problématiques relations humaines entre les chauffeurs face à leurs peurs, Georges Arnaud va droit au but.
« Le voyage du mauvais larron » contient déjà dans son titre tous les germes des différences qu’il peut avoir avec le premier texte. Là où « Le salaire de la peur » même aventures et sensations à l’état brut, « Le voyage du mauvais larron » entremêle aventures et réflexions à l’état brut. Là où le premier texte est une épopée sauvage, le deuxième texte est plus une épopée poétique. La réalité prend le pas sur la fiction du premier récit.
Georges Arnaud y alterne les aventures d’Arnaud Plessis en Amérique du Sud, narrées à la première personne, et les récits de son retour clandestin en bateau en France, après deux ans d’errements, pour retrouver sa fiancée, écrits à la troisième personne. Cette succession de récits et de style donnent une dynamique toute particulière au livre jusqu’au dénouement final.
Le dernier récit de ce recueil reprend le thème du transport de fret en camion à travers l’Amérique du Sud mais se concentre sur un court trajet effectué une à deux fois par jour par une centaine de camions qui se suivent, se dépassent, se rattrapent… sur des routes qui n’ont de routes que le nom et ne laissent même pas la place à un camion de passer de face, seul. Georges Arnaud y évoque plus directement encore que dans les précédents romans (et surtout que dans le deuxième) la mort mais aussi l’entraide, le courage, la peur, l’impuissance, bref tout ce qui fait aussi partie de la vie.
« La plus grande pente » crée en quelque sorte une synthèse des deux premiers récits, une symbiose parfaite qui viendrait équilibrer « Le salaire » et « Le voyage » dans une conclusion idéale. A la fois réflective et aventurière, cette histoire renvoie aux images de longues files de camions qui se suivent sur des routes étroites, aux virages aussi dangereux qu’impossibles à attaquer de front sur lesquelles pourtant on se double dans le respect des hommes partageant un même risque, une même vie, faisant face à la même mort et la regardant tous en face.
Georges Arnaud lance dans cette bataille pour la (sur)vie l’intrusion de trublions italiens qui pensent, ayant fuis l’Europe, trouver une terre d’accueil quitte à la prendre de force. Si les deux premiers récits sont ceux de luttes menées par des hommes contre eux-mêmes, cette troisième histoire fait s’affronter deux groupes, l’un établi, l’autre qui vient jouer le rôle d’intrus. La lutte entre les deux ne se fait fatalement pas au premier sang mais à la mort de l’un ou l’autre groupe.
Si l’âpreté règne en maître sur les trois récits, ceux-ci ne sont toutefois pas dénués d’humanité, tout comme le style de Georges Arnaud qui colle parfaitement à ses histoires, qu’elles soient plus proches de la fiction ou de l’auto-biographie.
« Minuit dans le corral de Juancho. Cent bêtes à cornes qui meuglent vaguement, vingt cavaliers, incultes et beaux, ceux-là, qui les encadrent. Des torches électriques, d’autres de paille arrosée de pétrole. On part la nuit, sur des pistes qui ont mille ans. Les piétinements, les cris brefs, les coups de gueule, les haltes brusques et les départs étirés recréent la guerre autour de moi. »
« Il y a plus de vérité entre les cuisses du Monstre, cette fille que j’ai si souvent branlée dans mon taxi, que dans les coeurs de vos épouses ; et plus de poésie dans un bistrot de tueurs de Paname ou de Panama que sous les lumières, voilées, bien entendu, comme des poumons, de vos tristes baisodromes ; dans les livres de comptes d’un patron de salle de jeux que dans ceux de vos poètes apprivoisés; de vos romanciers, peintres tatillons de la médiocrité. »