En réalité, la fillette s’appelle Rose, mais Mâchefer, qui lui tient lieu de protecteur sinon de père, la surnomme Ronce. C’est le journal intime de Ronce-Rose que nous lisons, où l’on apprend qu’elle habite avec Mâchefer donc, un ancien taulard expert en braquages travaillant officiellement dans les farces et attrapes, et qu’ils ont pour voisins une vieille sorcière et un unijambiste. Souvent, Mâchefer et son complice Bruce partent sur un coup, mais un jour, Mâchefer n’en revient pas. Alors Ronce-Rose s’en va à sa recherche : elle parcourt la ville, la campagne, se retrouve à l’hôpital, en Russie, en taule, bref, un véritable périple.
Jeu de mots
Ronce-Rose est une Alice au pays du réel qui raconte le monde à hauteur d’enfant, une Zazie qui prend les vessies pour des lanternes ou le contraire. Elle aime les mots et cherche toujours à savoir le pourquoi des choses, de préférence les plus absurdes ; quand elle ne comprend pas, elle ne lâche jamais l’affaire et s’en remet à son imagination. C’est ainsi que le roman tord la réalité sombre et banale pour faire jaillir une épopée surréaliste douce-amère, car on le sait, les histoires, ça guérit et ça aide à vivre. Mais ne nous y trompons pas, derrière le récit faussement naïf de cette arrière-petite-fille de Candide, se cachent les blessures d’une enfant qui a peur du noir et de la solitude. Pour résumer, Ronce-Rose est tout à la fois une princesse infortunée et une vieille dame sénile. Vous êtes un peu perdu ? Pas d’inquiétude, il suffit de suivre les flèches, et tant pis si, au bout du compte, on se fait rouler dans la farine par cette gamine blonde comme les blés et véritable moulin à paroles. Éric Chevillard joue merveilleusement avec et sur les mots, promenant un miroir déformant sur le chemin de son héroïne, s’octroyant toutes les libertés et tous les écarts pour lui éviter les épines.