Erraink Rurem, ingénieur hydraulicien est envoyé sur l’île de Sélébie par le royaume d’Harrain pour irriguer les terres d’Onk, une des cinq régions de l’île. L’île de Sélébie attise les convoitises de tous types d’êtres humains : il y a ceux qui sont subjugués par sa beauté et sa richesse humaine comme Erraink et ceux qui sont appâtés par les richesses naturelles des sous-sols de l’île et dont la cupidité fait faire des folies comme Hiln, le secrétaire de l’ambassadeur d’Harrain en Sélébie.
Toute la beauté et la richesse du récit de Marc Lepape vient de la rencontre d’Erraink et d’Ilnah, dont le frère qui s’est retiré en ermite dans les montagnes d’Onk a été assassiné.
Il y a plusieurs façons de lire entre les lignes de crêtes de ces montagnes ou d’observer les rais de lumière qui percent ces nuages. Il y a dans un premier temps les raisons qui ont conduit au meurtre du frère d’Ilnah et dont le retrait de la vie du village a mis sa sœur en porte à faux par rapport aux autres habitants. Il y a le mensonge perpétré par Dmyrn, le frère d’Ilnah, dont les lecteurs sont les témoins privilégiés mais qui va bouleverser Ilnah. Il y a la relation biaisée entretenue par Ilnah par rapport à son frère.
Il y a ensuite le voyage initiatique d’Erraink en Sélébie à la recherche de sa propre vie qui fuit sa vie passée dans son royaume d’origine. Il va trouver dans la région d’Onk et à travers Ilnah un havre de paix, précaire et qui sera remis en cause jusqu’au bout du récit.
Il y a ensuite l’idée de renaissance intimement liée aux processus initiatiques enclenchés par les personnages principaux de ce récit mais qui concerne également l’île elle-même, la terre, qui doit émerger de cette histoire, par certains côtés tragique, pour se ressourcer, pour renaître d’une certaine manière.
Il y a aussi, enfin, l’idée que les traditions sont faites pour être dépassées à travers une transgression souvent difficiles à atteindre mais ô combien salutaire ! La tradition fonctionne, en Sélébie et plus particulièrement dans la région d’Onk, organisée comme les autres régions avec un système de patriarche qui est le garant de ces traditions et des règles, comme une chape de plomb sensée maintenir un statu quo autant protecteur que sclérosant. L’enjeu du récit devient alors d’aller au-delà des appréhensions nées des interdits ancestraux pour évoluer et avancer.
Marc Lepape remet en cause la ritualisation de la société « onkoise » intelligemment par deux biais opposés, comme s’il voulait prendre suffisamment de précaution pour être sûr de son coup : d’une part de manière interne à la région d’Onk avec la figure de Dmyrn qui est là constamment malgré sa mort comme un fantôme revenant hanter la vie de sa sœur pour la pousser à remettre en cause ses certitudes en allant à la recherche des explications concernant la mort de son frère et d’autre part par l’entremise d’Erraink, figure extérieur, qui vient montrer qu’autre chose existe ailleurs.
Marc Lepape possède un talent de conteur indéniable pour emmener son lecteur où il veut et comme il veut et, qui plus est, pour le plus grand plaisir du lecteur. Il se dégage de l’écriture de Marc Lepape une vraie humanité et un amour de l’autre dont on se demande s’il a des limites et qu’il transmet à ses personnages.
Ce récit offre un bien précieux et rare pour tout lecteur réceptif : un vrai moment de lecture en apesanteur qui fait du bien. Attention, ce livre n’a rien à voir avec une lecture « feel-good » comme ce qui peut avoir le vent en poupe ces derniers temps. C’est bien mieux que cela parce qu’il y a de la beauté et de la poésie dans l’écriture de Marc Lepape. Cette sensation est peut-être aussi liée au choix qu’a fait Marc Lepape de légèrement déconnecter son récit d’une réalité et d’une contemporanéité trop identifiables. S’il est question de pays européens, l’espace géographique et temporel dans lequel le récit s’inscrit semble être un ailleurs imprécis où il fait bon se laisser perdre.