Benjamin. Kevin. Bruno ? Le triptyque infernal de ce roman… Toxicos ou dealers, parfois les deux en même temps, ils hantent se livre à la recherche d’une vie perdue, la leur, avec plus ou moins de chances d’achever leur quête en vie. Benjamin est celui dont « Shoot » est l’histoire en live. Ce roman, c’est son histoire à lui, qu’il nous raconte à la première personne du singulier. L’auteur a voulu immerger le lecteur dans un quotidien de toxico, drogué à l’héroïne, qui a besoin de sa dose journalière, qui deale pour se faire du blé et survivre, un peu plus longtemps chaque jour mais un peu moins chaque jour. Sur quelques jours, Iza de Gisse dresse un tableau saisissant de ce quotidien glauque et dramatique : le manque, la peur de la tôle, la schizophrénie et la paranoïa engendrées par l’abus de drogues dures, l’incapacité à voir la réalité des choses que ce soit la vision déformée du toxico sur lui-même ou sur le monde qui l’entoure, l’espoir vain qu’il place dans un avenir dans lequel lui seul parvient à voir quelque chose. Le rapprochement avec « La faux soyeuse » d’Eric Maravélias se fait presque naturellement. Il y a tout de même quelques différences majeures. Tout d’abord, le traitement du temps entre Shoot et La faux soyeuse n’est pas le même. Là où Eric Maravélias décrivait presque une fresque (le style, nous y reviendrons après, appuyant cette impression) générationnelle sur plusieurs années, Iza de Gisse encre son récit dans un temps beaucoup concentré sur quelques jours, tout au plus quelques semaines, au moment de Noël. Il est à ce titre amusant de noter que la durée de l’histoire et la longueur de chaque récit sont à chaque fois inversement proportionnelles : récit court sur une durée longue pour Eric Maravélias et un roman plus long sur une durée beaucoup plus courte chez Iza de Gisse. Ensuite, le style donc : Eric Maravélias possède une force poétique totalement absente de l’écriture d’Iza de Gisse (ce qui n’est nullement un jugement de valeur sur le style de l’un par rapport à l’autre, une simple constatation). Le récit d’Iza de Gisse puise dans cette écriture âpre une troublante véracité qui n’enjolive rien. Le récit d’Eric Maravélias, malgré la poésie de son écriture, n’en étant pas moins glauque, bien au contraire, mais nimbait le récit d’une sorte de barrière infranchissable pour le lecteur, une protection pour ce dernier. Chez Iza de Gisse, rien de tout cela : la brutalité du quotidien passe dans une écriture plus directe, sans fioritures. Ce qui m’amène à mon seul bémol sur « Shoot » : cette écriture implique, sur la distance, une petite lassitude ou une fatigue, tant elle est exigeante mentalement, le sujet ne se prêtant pas particulièrement aux rires, et le livre est parfois un peu long dans ses développements. Tout le début du récit de la fuite à l’arrestation de Benjamin aurait pu être ramassé sur un peu moins de pages sans nuire au récit. La seconde moitié du roman est par contre parfaitement équilibrée.