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Et si les livres prenaient vie?
La fan de Toy Story que je suis ne pouvait qu’être intriguée par cette histoire de livres qui prennent vie sitôt fermée la porte de la librairie. Tout comme Woody craignait de se faire voler la vedette par Buzz, les romans du Boudoir, peu connus, peu vendus, ne faisant pas le poids face aux best-sellers et autres gagnants de prix littéraires, voient d’un mauvais œil l’arrivée d’une nouvelle caisse de romans à succès, annonciatrice de mise au pilon pour eux, les invendus de l’arrière-boutique. Pour une petite poignée d’entre-eux, le salut viendra de la révolte, de la lutte quasi-armée, pour bouter les best-sellers hors de la table d’honneur. Parallèlement, le roman nous offre une réflexion sur le monde de l’édition actuel, en cette époque où l’on dit parfois que « les gens ne lisent plus : ils écrivent ». De plus en plus de livres publiés, de moins en moins de livres vendus. Moins de lecteurs? Pas forcément. Mais de nouvelles habitudes de lecture, certainement. En cette période où on télécharge, emprunte, échange ou occasionne au lieu d’acheter neuf, quel avenir pour les livres et les librairies? Si le premier volet du roman, voyant les livres prendre vie, établissant des parallèles entre le personnage-livre et son auteur dont il est le reflet, original et bien amené bien qu’un peu trop fantaisiste, risque finalement de tourner à l’exercice de style s’il se trouve trop exploité, l’auteur a l’intelligence de sortir régulièrement des rayons et d’alterner avec des personnages de chair et de sang. On plonge alors dans les doutes d’un vieux libraire, naguère passionné, aujourd’hui fatigué, dépassé par les sites de vente en ligne (pour lesquels travaille son propre fils) autant que par la masse d’ouvrages qu’il lui faudrait lire, désabusé face aux demandes de la clientèle, adepte de lectures faciles et prescrites plus que recherchées et réfléchies (et qui lui reproche en outre de n’avoir pas tout lu mais se tourne dans le même temps vers les libraires en ligne qui, par définition, ne lisent rien et ne donnent aucun conseil), obligé, par les maisons d’édition elles-mêmes, de « se mettre au numérique ». Face à lui, une jeune vendeuse, rappelant ce qu’il fut des années auparavant, une de ces libraires encore passionnés et la tête débordant de rêves et d’idées pour faire vivre la boutique, personnaliser les lieux, mettre en valeur auteurs, histoires et contenus, Non exempt de faiblesses (trop longue et difficile à visualiser, la bataille perd en intérêt), il reste néanmoins intéressant en tant que piste de réflexions, qui ne pourra que questionner les amateurs de livres et de littérature que nous sommes. Qu’est-ce que la Littérature? Qu’est-ce qui fait qu’un roman est un bon roman? D’où vient le succès? Comment ramener les gens vers les livres et lutter contre la disparition des librairies? D’un point de vue personnel, je l’aurais encore davantage apprécié si l’auteur avait diminué la part de la révolte au profit de la réflexion concernant le monde éditorial. C’est aussi -et surtout?- à une prise conscience du rôle que nous -consomm’acteurs de la vie culturelle et littéraire- avons à y jouer que nous invite Bertrand Guillot. Une idée originale !
La plume de B. Guillot est recherchée et assez poétique mais reste abordable et fluide. Il a réussi à faire d’un livre qui parle de livres une histoire vivante, parfois drôle, parfois plus profonde. Quelques allusions aux services presses et à Amazon m’ont fait sourire. Les personnages principaux sont les livres, donc difficiles de s’y attacher. Pourtant, l’auteur les décrit par quelques mots sur leur histoire et on se prend à vouloir reconnaître le titre cité… Certains m’ont parlé, d’autres moins. On découvre aussi quelques humains, notamment Sarah, la nouvelle libraire ainsi que le patron de la librairie que l’on découvre. J’ai largement préféré Sarah, qui essaye de faire redécoller cette librairie tandis que le patron m’a semblé totalement blasé de son métier… L’intrigue est plutôt sommaire mais permet au lecteur de passer une agréable lecture. Les revendications des livres du Boudoir sont compréhensibles et leurs actions sont bien imaginées et retranscrites de façon à ce que l’on puisse imaginer la scène. Néanmoins, certains petits détails m’ont gêné, notamment la confusion entre l’histoire du roman et son auteur : parfois, B. Guillot nous parle d’un livre par ses personnages et son action puis le décrit ensuite avec la personnalité de son auteur… Je trouve cet amalgame dommage, j’aurais préféré que l’on reste sur l’histoire des romans et que l’on laisse l’auteur de côté étant donné que c’est bien de livres que l’on parle ici… J’ai également eu un peu de mal avec le ton très cynique du début du roman : le patron de la librairie ainsi que les livres ont des propos défaitistes et donnent l’impression que l’on doit s’apitoyer sur leur sort… La personnalité et les idées de Sarah remontent ensuite le moral mais justement, je trouve que l’auteur a passé un peu trop vite sur ce sentiment positif : on évoque très vite quelques bons exemples pour faire repartir la librairie mais sans s’y attarder. En bref, c’est une bonne lecture du point de vue original des livres eux-mêmes. L’histoire principale est intéressante mais malheureusement, elle est un peu gâchée par des propos trop pessimistes au départ : certes, l’univers de la librairie n’est pas à son apogée en ce moment mais le côté larmoyant m’a gêné… On retiendra cependant des anecdotes ainsi qu’un ton ironique en seconde partie qui font sourire. A lire sous les couvertures
Je vous la fais tout de suite, je sais que vous l’attendez : j’ai lu ce livre, « Sous les couvertures » bien au chaud sous ma couette ! Un libraire de quartier en difficulté a une très grosse envie de baisser les bras tant il est submergé par tous ces livres qui sont publiés et qui finiront au pilon. Sa clientèle a vieilli avec lui et le renouvellement n’est pas arrivé malgré Sarah, sa jeune stagiaire. Nous sommes samedi soir, il ferme sa boutique, baisse le rideau et s’en va chez lui plein d’amertume et de fatigue. Lundi, il recevra les nouveautés de la rentrée littéraire et devra mettre dans les cartons les livres qui partiront dans le couloir de la mort des invendus puis au pilori. Les livres du Boudoir le savent…. Le tri se fera parmi eux et non pas auprès de ceux des tables, les prix, les best-sellers. Alors, branle-bas de combat parmi les livres du boudoir. « Grand » prend les choses en main, accompagné de « Junior » et de « Mauve ». On va voir les anciens qui ont pour nom « l’Académicien », « Douleur d’Ecrire », « l’Auteur », « Vieille Gloire »… Serait-ce les premiers soubressauts d’une révolte, que dis-je ! Une Révolution ! Ça discute, ça fouraille, ça fomente, ça se dispute, pire qu’à l’Assemblée !! Et pourquoi tout cela ? Pour que finisse cette attente sans fin, cette ségrégation. Pourquoi les livres vendeurs, les prix et tous ceux qui connaissent la gloire sont-ils devant et pas eux ? C’est la double peine pour ceux du Boudoir ! Ils ne bénéficient pas d’une grande publicité télévisuelle, n’ont pas obtenu de prix, ce sont d’anciennes gloires très amères, seuls quelques illustres inconnus les lisent, …. Enfin bref, tout le menu fretin de la librairie. C’est qu’ils la voudraient bien la place au soleil ! Oh, pas grand-chose, juste une quelques jours, enfin connaître le plaisir d’être saisis, palpés, découverts, feuilletés et, le Graal : achetés par les clients. Le vieux libraire et la jeune Sarah représentent deux façons différentes de voir le fonctionnement d’une librairie. Lui, qui était à la pointe du progrès lors de la création de sa boutique, est fatigué, las, ne veut plus rien changer. Il n’a plus la pêche pour tout chambouler, reste sur ses positions. Sarah représente la nouvelle génération, donc la lumière, l’oxygène. Elle voudrait mettre quelques une de ses idées en place. Dans les livres comme chez les humains, encore et toujours le grand débat des anciens contre les modernes. Cette bataille des livres pendant la fermeture de la boutique m’a fait penser à un dessin animé où les jouets s’animent la nuit : Merci le moteur de recherches : Toy Story !! Je savais qu’il y avait des lutins qui venaient la nuit déplacer les chaussons de place. Certains de mes livres disparaissaient pour réapparaître sur une autre étagère ! Oui, oui, je vous le promets. Maintenant je sais que les livres sont des objets animés qui ont une âme. J’aimerais tant surprendre leurs activités nocturnes, mais je crains que ce soit perdu d’avance, comme pour le Père Noël. Un livre drôle, certaines scènes sont hilarantes, comme cet onanisme littéraire. Sous ses propos légers, Bertrand Guillot parle du malaise du monde de l’édition et des libraires. Un monde en pleine mutation avec les ventes en ligne, les tablettes, les livres numériques. Ces officines du plaisir que sont, pour moi les librairies, doivent inventer, créer, trouver les mille et une façons d’intéresser le client pour qu’il devient lecteur, assidu si possible. Merci Bernard Guillot pour cette déclaration d’amour pour les livres et les vraies librairies.
coup de coeur
Le roman qui contient tous ceux de la rentrée
Bertrand Guillot met en scène un fantasme, celui d’être enfermé une nuit dans une librairie (si le fantasme n’en est pas un, remplacer librairie, au choix, par musée, magasin de mode ou tout autre commerce de son choix). Et un autre – savoir ce que les livres pensent. Les livres qui voient et entendent tant de choses… Les livres qui, s’ils pouvaient parler, diraient « cette espérance qui [les] soulève, le désespoir qui s’ensuit lorsque la main agrippe un de [leurs] voisins, et le cœur qui bat quand c’est enfin [eux] qu’elle saisit… ». On les croit paisibles et stoïques, Bertrand Guillot nous les révèle enflammés, passionnés, jaloux, aigris, naïfs, bienveillants. Humains. Et la capacité de révolte n’est-elle pas le propre de l’homme ? Dans la librairie, le calme semble régner cependant que le feu brûle sous les couvertures… Car se faire une place sur la table du libraire, c’est se faire une place dans le monde des lettres, ce monde « où souvent l’expérience [passe] pour de l’intelligence ». Et vice versa. Et pour parvenir à l’un donc à l’autre, tous les coups sont permis et tous les moyens sont bons. Sous les couvertures est un roman frais et plein d’esprit, malin et truffé de bons mots comme de références aux sixième et neuvième arts, drôle mais pas que. C’est aussi une déclaration d’amour à la littérature à l’heure où les livres se font la guerre – mais parle-t-on encore nécessairement de littérature quand on parle de livres ? Un roman vivant, rythmé, aussi coloré que sa couverture, et qui peut-être contient tous les romans de la rentrée dont on peut se dispenser. |
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