Souvenirs de marée basse
Chantal Thomas

SEUIL
FICTION & CIE
août 2017
 18 €
ebook avec DRM 6,99 €
 
 
 
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coup de coeur

C’était fin août, à la radio ou à la télé, je ne sais plus, à l’occasion de la rentrée littéraire, une anecdote à propos de ce livre a retenu toute mon attention : la mère de Chantal Thomas, adolescente, s’était baignée dans le Grand Canal du château de Versailles. Dire que cette expérience m’a parlé est un bel euphémisme : non que je me sois jetée tête la première dans un plan d’eau royal mais figurez-vous que des châteaux de la région parisienne, j’en ai visité un paquet ! Mon père adorait ça et l’été, sous un soleil écrasant et des températures caniculaires, nous arpentions régulièrement les allées éblouissantes de Vaux-le-vicomte, les contre-allées aveuglantes de Fontainebleau ou de Courances. Si vous saviez combien de fois j’ai envié les canards qui batifolaient tranquillement dans l’eau fraîche des bassins. J’aurais donné une fortune pour m’allonger dans leur flotte verdâtre et fangeuse ! Cela a pour nom l’appel de l’eau et j’y suis ultra sensible. Impossible de résister. J’aurais deux trois anecdotes à peine avouables à vous raconter à ce sujet ! Ma capacité à me plonger dans l’eau si j’ai trop chaud n’a aucune limite : ni celle de la pudeur, ni celle de la loi ou d’un quelconque interdit. Je ne résiste pas, où que je sois… D’ailleurs, si le souvenir de certaines visites a pu se perdre en chemin, je n’ai jamais oublié mes bains et je pourrais vous citer une longue liste de lieux où j’ai aimé nager.
Bref, je savais que ce livre me parlerait et ce fut le cas !
Par où commencer ?
Peut-être par l’épisode de la mère évoluant dans l’eau du Grand Canal, sous l’oeil ahuri des fantômes du passé, faisant une espèce de pied de nez à l’Histoire : mythique, magique, magnifique…
Le reste l’est tout autant… La première page par exemple où l’auteur raconte un bain sous la pluie en Méditerranée. Elle repense à sa mère et comprend soudain ce qu’elle lui a transmis : « l’énergie d’un sillage qui s’inscrit dans l’instant, la beauté d’un chemin d’oubli… », quelque chose qui n’appartient ni à l’Histoire ni à la durée mais plutôt qui est hors du temps, lié au plaisir immédiat, à la sensualité, au bonheur tout simplement. Vivre dans le présent. C’est toute une philosophie tout ça, non ?
Ce livre sur la mer, sur les plages et les rivages, parle d’une mère, celle de l’auteur. Une mère fantasque avec laquelle pendant longtemps Chantal Thomas a le vague sentiment de n’avoir pas beaucoup de points communs. Pas une étrangère, non, quelqu’un de différent qu’on regarde un peu avec étonnement, curiosité. « Ma mère est une enfant à part. » confie l’auteur. Une mère qui n’a pas toujours joué complètement son rôle tellement elle était tournée vers l’ailleurs, l’extérieur, la mer, l’horizon. « De même que Colette écrit de Sido, sa mère, qu’elle a deux visages : son visage de maison, triste, et son visage de jardin, radieux, ma mère a deux visages : son visage de maison, obscur, et son visage de natation, lumineux. » D’ailleurs, Chantal Thomas, dans une interview, explique qu’elle a eu l’idée d’écrire ce livre en lisant le Journal de deuil de Roland Barthes. Ce dernier, après le décès de sa mère dont il était très proche, s’est trouvé plongé dans une telle détresse qu’il a tout fait pour que rien ne change dans la maison. Aucun objet ne devait être déplacé. Sa mère était une femme d’intérieur et Roland Barthes avait toujours vécu dans ce petit univers rassurant et protecteur. La mère de Chantal Thomas, elle, était une femme d’extérieur : elle aimait nager, vivre cette liberté absolue, ce plaisir total de s’abandonner à la sensualité quoi qu’il arrive, dans une communion totale avec les éléments. Car nager, c’est s’alléger : de son propre poids, de celui de ses vêtements et peut-être même de ses soucis.
Longtemps, les femmes n’ont pas appris à nager, on les préférait engoncées, immobiles, tenues. Avait-on peur qu’elles s’enfuient vers d’autres rivages ? « Il faut dire que la nageuse… est un phénomène neuf et d’exception dans une histoire de l’humanité qui revient pour les femmes à une histoire de leur immobilisation, de leur identification imposée à des êtres de pudeur et de faiblesse, des créatures maladives qui ne peuvent que demeurer sur le rivage, empaquetées de jupons, de robes et de châles, protégées du vent et du soleil. »
Nager c’est s’émanciper, s’éloigner, s’ouvrir au monde, se lâcher, s’abandonner, offrir son corps nu au plaisir… Encore une fois, finalement, c’est tout un art, une philosophie !
La transmission de la mère à la fille ne s’est peut-être pas faite par des mots, des phrases, des réflexions théoriques mais par des gestes, ceux d’un crawl parfait qui fend gracieusement l’espace de l’océan, propulsant le corps de la nageuse vers un horizon illimité, une liberté infinie qui invite à profiter de ce qui ne dure pas, à jouir de l’instant.
Vers la fin de l’oeuvre, les pages où l’auteur évoque sa mère vieillissante et sa prise de conscience soudaine de ce qui les lie sont magnifiques et bouleversantes.
Chantal Thomas évoque une enfance à Arcachon avec parents et grands-parents où elle est bien persuadée de vivre dans le plus bel endroit du monde. La plage ? Un espace de lumière, d’eau et de sable où la mère et la fille tissent des liens, plus qu’ailleurs peut-être… C’est aussi le lieu du jeu, de l’observation, de l’invention, de l’expérimentation que l’on partage avec des camarades d’un jour ou d’un été… Merveilleuses pages qui racontent les journées de l’enfance…
J’ai tellement eu envie de découvrir ces lieux magiques si bien décrits dans ce livre que j’ai réservé une maison pour les vacances de printemps, à Arcachon, la ville des quatre saisons…. J’ai noté sur un petit carnet le nom des rues et des plages que mentionne Chantal Thomas, sans oublier l’île aux oiseaux, où nous irons peut-être. Ce n’est pas la première fois que je traîne tout mon petit monde sur les traces de maisons ou de chemins qui parfois n’ont jamais existé sinon dans l’imagination de leurs auteurs. Je me suis promis aussi – mais ça, c’est pour plus tard – d’aller nager en Méditerranée, au Cap Martin. Ce n’est pas tout près, il me faudra traverser la France mais pour me baigner « là où la mer est translucide, du bleu liquide d’une pierre précieuse », je serais capable de tout.
L’appel de l’eau n’a ni limites ni frontières…

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