Je ne connaissais pas Louis Chadourne avant de tomber sur cette excellente édition de « Terre de Chanaan » (1921), auquel Valéry Larbaud – excusez du peu – trouvait des accents conradiens ; on pense aussi à « L’Or » de Blaise Cendrars, en somme un vrai bon roman d’aventures. L’auteur est le contemporain d’Alain-Fournier, cette génération née dans les années 1880-90 fauchée par la Grande Guerre. Louis Chadourne, blessé par un obus, sera traumatisé jusqu’à sa mort prématurée en 1925 dans une maison de santé d’Ivry.
Cela commence comme on aime : dans sa demeure périgourdine un soir d’automne, près du feu de cheminée, Jean Loubeyrac, un homme vieillissant et solitaire, se souvient de ses péripéties de jeunesse. Après ses études de droit, le hasard le met sur le chemin de Jérôme Carvès, son ami d’enfance qui veut réaliser ses aspirations de chasseur de trésor, et le convainc de l’accompagner en Amérique du Sud où il part faire fortune dans les mines d’or. Lors de ce voyage au long cours, ils tombent sur un cirque en tournée dans les Antilles et se joignent à la troupe, direction Puerto-Leon. C’est dans ce port du bout du monde morne et sordide où végètent émigrés et anciens esclaves que Carvès recrute ses hommes pour l’exploitation d’un filon en pleine jungle. Avec des piliers de saloon qui n’ont rien à perdre et une écuyère amoureuse, ils embarquent dans des pirogues pour une course à l’Eldorado sur le fleuve jumeau imaginaire de l’Orénoque, dans la moiteur et la touffeur de la forêt tropicale, où la cupidité et la folie auront raison de leurs mirages.
Ecrit dans une belle langue classique, « Terre de Chanaan » fait l’éloge du risque et celui de l’amitié entre un rêveur passionné et un mélancolique sceptique. L’atmosphère onirique, sombre et désenchantée, en fait un grand roman d’aventures et d’initiation qui réfléchit sur le désir comme remède à l’inquiétude de la condition humaine. Mention spéciale à la préface de grande qualité et aux illustrations de 1938 : une très belle édition qui sort enfin Louis Chadourne de l’oubli. On en redemande !