Le treizième roman que signe Mazarine Pingeot s’avère très réussi. Celle que l’on a longtemps surnommée « la fille cachée du Président », s’amuse à se dissimuler derrière une narratrice, prénommée Josèphe. A première vue, ce personnage ne lui ressemble guère. Josèphe a grandi à Bourg-la-Reine, une banlieue sans histoire du RER B. Elle est née dans une famille de Pieds-Noirs, originaires d’Algérie, qui vote à droite. Mais les différences s’arrêtent là. Car contrairement aux apparences, les points communs entre l’auteure et son héroïne ne manquent pas.
L’impossible retour vers les origines
Etudiante en lettres de 22 ans, Josèphe prépare une thèse, dont le sujet pourrait résumer à lui seul la problématique du roman de Mazarine Pingeot : « Le retour vers les origines, l’impossible retour vers ce qui sans cesse nous échappe ». Cette question habite l’auteure depuis toujours. Elle a commencé à l’aborder en 2010, avec « Mara ». Six ans plus tard, elle continue de la creuser avec le personnage de Josèphe, alias Théa.
Toute l’intrigue tourne autour de la double identité de la narratrice. Mazarine Pingeot a confié qu’elle avait longtemps eu du mal à assumer son prénom. Josèphe aussi. Car elle porte le prénom d’un enfant mort. Celui de son frère Jospeh, décédé à quatre ans, sous les roues d’un chauffard, et dont ses parents ont dû se résoudre à abandonner le tombeau en Algérie. Un drame familial et un poids qui empêche la jeune fille d’accéder à elle-même. La grand-mère de Josèphe, qui a perdu la boule, mais pas sa lucidité, résume assez bien la situation: « Faudrait être stupide pour appeler le frère et la sœur du même prénom ».
Une renaissance
C’est Antoine, un exilé politique argentin (portant lui même un prénom de substitution), qui va offrir une seconde naissance à Josèphe en la rebaptisant « Théa ». La jeune fille le rencontre lors d’une soirée de militants d’extrême gauche et tombe éperdument amoureuse de lui. Ce garçon passe son temps à disparaître sans prévenir et la rend folle. Mais qu’importe, puisqu’il va lui donner le courage d’oser affronter son passé. Elle qui se croyait sans histoire découvre que celle de son père est intiment liée à l’Histoire, à la guerre d’Algérie.
L’auteure s’est amusée à faire naître son héroïne dans une famille de droite et à évoquer plusieurs fois son père, en l’appelant par son nom ou en le présentant comme « le premier Président de gauche de la Ve République ». Mais cela n’empêche pas Mazarine Pingeot de livrer un roman fort sur l’engagement politique, l’exil et ses corollaires : la clandestinité et le secret. Elle construit un pont entre l’Argentine et l’Algérie. A travers ces deux pays, l’histoire de Josèphe et d’Antoine se reflètent comme dans un miroir inversé. Mazarine Pingeot avance cette définition: «L’exil, c’est quelque chose dont tu ne te débarrasses jamais, comme une salissure et rien pour la nettoyer». Et l’on devine, que d’une manière ou d’une autre, elle a pu, elle aussi, se sentir exilée.
Bouche cousue
Les plus belles pages de ce roman traitent des rapport familiaux, contrariés, toujours compliqués. Josèphe tente désespérément d’échapper à la rengaine fataliste de sa mère pour qui tout est « toujours pareil ». Rien n’est simple pour la jeune fille. Entre elle et ses parents, la parole est très souvent confisquée, en permanence brouillée. A cause de la télévision qui prend toute la place, des silences, des non dits, de l’ennui, de la mort du frère aussi. Jusqu’à cette scène émouvante, où la mère va enfin ouvrir une brèche et raconter son voyage à Alger dans un moment de vérité qu’elle qualifie de « faiblesse ».
La mère, le père, Antoine, les camarades : les personnages de « Théa » ont chacun leurs secrets. Tous sont « bouche cousue », pour reprendre le titre d’un des romans de l’auteure, paru en 2005. Les confidences son interdites. Hommes et femmes verrouillent leur intimité à double tour. Mazarine Pingeot décrit avec beaucoup de justesse ce qu’elle appelle « le terrain proscrit de l’intime ».