Ce livre m’a fait vivre une expérience étonnante : je vous la raconte en deux mots.
D’abord, j’ai pesté : je ne comprenais rien ou pas grand-chose. Le propos, métaphorique, allégorique, philosophique, symbolique me laissait plus ou moins à la porte. J’avais beau vouloir entrer, rien à faire. Il me semblait parfois m’approcher du but : tiens, c’est peut-être une quête de la Vérité dont il est question. Oui mais quelle Vérité ? N’y a-t-il qu’une Vérité ? Non, c’est plutôt l’histoire d’un looser halluciné, paumé et frappadingue (c’est lui qui le dit), vivant en marge d’une société plutôt violente, un homme qui chercherait à atteindre une espèce de royaume (perdu?) où régnerait encore l’innocence. Oui, c’est plutôt ça, une espèce de parcours spirituel vers une forme de pureté qui n’existe plus dans notre monde sinon sous forme de traces, notamment dans l’Art et peut-être aussi dans la beauté de la nature. Encore faut-il être capable de la voir, cette beauté, qui peut n’apparaître que de façon fort éphémère. « Lorsque l’on agit contre son propre intérêt (lorsqu’on se sabote), [comme le fait le narrateur] c’est toujours par fidélité à une chose plus obscure dont on sait secrètement qu’elle a raison. »
Contente de mes interprétations, je retombai cependant quelques pages après dans des sphères plus ou moins nébuleuses dans lesquelles je poursuivis ma lamentable errance.
Bon, très bien, me suis-je dit, si tu me résistes, sacré bouquin (oui, oui, il a quelque chose à voir avec le sacré ce bouquin!), je vais t’avaler d’UN COUP comme un verre d’alcool un peu fort (d’ailleurs notre narrateur picole pas mal dans le livre, de la vodka notamment).
Et je l’ai lu d’une traite cherchant ainsi à dompter l’animal sauvage (il est aussi question d’animaux sauvages dans le livre!)
Et là, MIRACLE, tandis que je voulais au plus vite en sortir, j’y suis rentrée. En effet, alors que j’avais cessé depuis longtemps de chercher un sens à tout, tout me parlait. J’étais sous l’emprise.
Je pense donc que c’est un roman dans lequel il faut se plonger en se laissant porter par l’écriture sans s’interroger sur la moindre formule. Certains passages sont éblouissants d’ailleurs. Il ne faut pas lire ce roman par à-coups, une page par-ci, deux pages par-là. Le charme n’opère pas.
Bon, venons-en au sujet : le narrateur, 50 ans, vit seul dans un petit studio parisien dont il sort très peu. « …ma vie, que je croyais une aventure, tournait autour de mon ordinateur, devant lequel j’étais posté dix heures par jour, autour de mon frigo, qui était inlassablement vide, et de quelques bars de Gambetta… où j’allais m’enivrer en racontant n’importe quoi à n’importe qui. » Il est « un type qui n’a aucune ambition – ou qui la place dans un lieu que la société ne répertorie pas », il occupe ses journées à lire ou à regarder des films de façon obsessionnelle, notamment Apocalypse now de Coppola qui tourne chez lui en boucle.
Il a écrit un scénario de sept cents pages sur la vie d’Herman Melville : The Great Melville qu’aucun producteur n’a retenu. En effet, l’auteur de Moby Dick le fascine, et notamment, « l’immensité qui peuple la tête d’un écrivain comme lui. »
Lorsqu’on le lui demande, le narrateur précise que son travail porte sur « l’intérieur mystiquement alvéolé de la tête de Melville », ce qui évidemment fait fuir tout le monde ! Il faut dire que ce garçon se pose beaucoup de questions comme s’il portait en lui une forme de grandeur, d’absolu qu’il rechercherait, une espèce de vérité (attention, c’est là que ça se corse et que l’on décolle) que l’on atteindrait par exemple par l’art, à condition de vouloir consacrer à cette quête spirituelle une grande partie de sa vie, ce qui suppose que l’on n’entre pas tout à fait dans le moule proposé par la société : travail, réussite sociale, famille, enfants… car il faut rester « disponible » et « pur » d’une certaine façon, être capable de percevoir les signes de la vérité, d’où la nécessité d’avoir l’esprit (et la vie qui va avec) libre !
Encore faut-il savoir ce que l’on veut faire de sa vie ! Tiens, finalement, c’est peut-être ça la question essentielle de l’oeuvre… Sait-on ce que l’on veut faire de sa vie ? Est-on capable « de vivre dans la vérité ? »
Or, d’après une phrase de Melville, « en ce monde de mensonges, la vérité est forcée de fuir dans les bois comme un daim blanc effarouché » et donc, il faut la traquer, en rechercher les traces, partir à sa poursuite. Il va donc tenter d’entrer en contact avec Michael Cimino, réalisateur du Voyage au bout de l’enfer (The Deer Hunter = le chasseur de daim), un homme qui cherche le scénario « qui saura attirer Dieu dans ses pages ». Le narrateur est persuadé que ce réalisateur le comprendra puisque dans ce film ci-dessus cité, un chasseur joué par Robert de Niro poursuit un daim qu’il ne tue pas finalement. Or, ce daim serait « le survivant d’un monde régi par le crime, il témoigne d’une vérité cachée dans les bois » et il tiendrait tête à la criminalité qui a envahi le monde. Le moment suspendu où le chasseur ne tire pas symbolise une espèce de moment de grâce, de vérité : soudain et seulement à cet instant précis, le mal n’existe plus, le crime s’interrompt sur terre et une forme de pureté semble retrouvée. Seulement, ce moment de vérité, encore faut-il être capable de le voir, de l’entendre.
« La vérité n’est pas un concept immuable, elle apparaît et disparaît, c’est une épiphanie, elle n’existe qu’avec l’éclair qui la rend possible. »
Michael Cimino incarnerait donc celui qui a eu le courage de dénoncer « le secret de la fondation de l’Amérique, son destin criminel : les génocides des Indiens, la démence de l’impérialisme militaire au Vietnam, et tous les crimes sur lesquels était fondée en secret la démocratie. » Cimino est celui qui dit la vérité, il est le daim blanc et son œuvre en garde la trace.
Et c’est vers cette vérité que notre narrateur va avancer dans une quête complètement folle, pleine de mésaventures archi-loufoques : il croisera Isabelle Huppert, rencontrera Cimino à New York, devra s’occuper de Sabbat, le dalmatien de son voisin, discutera avec une concierge peu aimable et visitera en bonne compagnie le Musée de la Chasse. « La vérité ne fuit pas les rois qui l’aiment et qui la cherchent. Au contraire, elle fait signe partout, il suffit d’ouvrir les yeux, de lire les livres, d’écouter ce que le temps vous dit. », alors, s’il est un roi et s’il tient ferme sa couronne, peut-être la trouvera -t-il…
Finalement, je crois que c’est une œuvre qui me restera si j’en crois le besoin que je ressens déjà de relire régulièrement certains passages… Ça valait donc le coup d’insister et de tenir ferme… son livre !
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