D’embruns, de brises, de flots, de senteurs marines, cette ode à la vie est un repli des plus intimes. « Tu m’avais dit Ouessant » semble un lever de rideau sur l’horizon à perte de vue. Une île palpitante, vivifiante qui octroie ses mystères au seul chant langoureux, heureux d’une écriture de délivrance vêtue. Naturaliste, hédoniste, d’exaltations marines, en abîmes d’intériorité, ce récit puise son encre dans la gravité de l’instant, la profondeur inspirante. Nourricier, il s’épanche sur le geste glorieux d’une vague se donnant en diapason avec un pictural alloué à la plénitude.
Guenaëlle Abolivier déploie une carte aux trésors que seuls les poètes, les pèlerins, les sachants, les marins, les voyageurs sauront lire. Cette observation indubitable, délicate, des hôtes d’Ouessant, en plein hiver, au summum des turbulences et d’un froid mordant attisant les vents, d’un habitus dévoilé vagues après vagues est un hymne à un vivre-ensemble solidaire aux surprises risquées d’une île quelque peu sauvage et rebelle, libre, immensément libre, tel « Jonathan Livingston le goéland ». « J’allais vivre dans l’haleine de la mer, captive de cette bulle océane, de ses variations, de ses couleurs, du flux des nuages et de la houle. » « Et si nous étions que des iliens au cœur de la galaxie ? » L’auteure est cette île. Cette bouffée d’air frais qui s’élance du grand phare du Créac’h. D’un sémaphore métaphorique, citadelle verbale, mots sur les maux, syllabes de lumière. Babel marine s’extasiant des émois d’une aventurière, superbement modeste, douée et cultivée. « J’apprends dans un même temps que Joyce a écrit Ulysse dans un sémaphore face au large. La mer est bien comme ce flux de conscience qui nous traverse et nous bouleverse de l’intérieur. » Cette odyssée aux nuances voluptueuses, sels marins qui se figent sur les mémoires est à lire à haute voix. Au plus clair des pourtours de cette idiosyncrasie dénudée, de ces afflux glacés d’écumes éphémères. « Là se dessinent en courbes et en déliés, les lignes de nos trajectoires. Nous ne sommes que des hommes et des femmes en marche, ceux imaginés si patiemment par l’immense Giacometti. » L’écho, résonnance voluptueuse d’une aura insulaire, muse marine, est une contrée initiatique. L’auteur franchit pas à pas l’insondable, le magnifié, le juste. « Je te le dis, les phares c’est tout un monde et on n’a pas fini d’en faire le tour. » L’alchimie d’une île se mérite. Ouessant est le plus beau point sur une mappemonde. « Tu m’avais dit, va et lève la tête. Tu m’avais dit, va et tu verras… Va et sois curieuse comme Léonard de Vinci. » Ce récit est salvateur, magnétique, fusionnel. Lire doucement « Tu m’avais dit Ouessant ». Rester en osmose dans cette écoute des vagues qui claquent contre le phare du Créac’h et se dire que l’on vit mille ans en un instant.