« Je comprends mieux le présent en reconstituant le passé », Dennis Lehane
Avec Un pays à l’aube (The Given Day), Dennis Lehane explose le cadre narratif classique du roman policier historique en dépassant très largement les attentes de ses fans les plus enthousiastes. Dans un univers oscillant entre Emile Zola, Sergio Leone, et Martin Scorsese, Dennis Lehane nous plonge, au grès des pérégrinations de Danny et Luther, dans la poudrière de Boston.
Boston 1918, à la fin de la Grande Guerre. Danny Coughlin, Irlandais, fils rebelle du capitaine influent et corrompu de la police locale, travaille au sein d’une unité d’élite chargée de l’infiltration des groupes radicaux et des syndicats. Tiraillé entre les revendications légitimes de ses collègues syndiqués qui se sentent sous-payés et son sens du devoir, Danny devra choisir : soutenir la première grève des policiers de Boston et ainsi plonger la ville dans le chaos, ou trahir ses pairs. Pourtant, les liens familiaux de Danny, son charisme naturel, son aisance à guider les hommes et à se sortir des situations les plus périlleuses lui promettent un grand destin. Ce destin pourrait être contrarié par une unique faiblesse ; son amour caché pour Nora O’Shea, une immigrante irlandaise travaillant comme servante pour la famille Coughlin. Danny est pris dans la tourmente de plusieurs fronts, moral et amoureux, et peu importe comment les choses se termineront, sa vie s’en trouvera changée à jamais.
Luther Laurence, joueur de baseball amateur noir a, quant à lui, dû quitter précipitamment Tulsa, Oklahoma, après un affrontement mortel avec le parrain local du crime, laissant sa femme et un enfant à naitre. Par un concours de circonstances, il entre au service de la famille Coughlin. Rapidement, Luther se lie d’amitié avec Nora, et par ricochet avec Danny, qui l’aidera à combattre ses démons et à retrouver sa vraie nature.
Touchant parfois au cliché, l’histoire de ces deux hommes très différents va croiser l’Histoire bouillonnante d’une ville en pleine décomposition et s’achèvera, pour Luther, par un duel dantesque dans un bar à Tusla et pour Danny dans les émeutes sanglantes de Boston en 1919.
Servi par une excellente traduction, Un pays à l’aube est le regard lucide, rythmé et documenté d’un enfant de Boston sur la renaissance d’une société américaine fragmentée, en butte aux crispations raciales et sociales. Entre policiers corrompus, syndicalistes idéalistes, groupes anarchistes et bolcheviques, Dennis Lehane nous livre sur plus de 700 pages une vision brutale des règles de la société bostonienne du début du XXe siècle. A l’instar de la Commune de Paris, une nouvelle société surgira de la violence de ces conflits.
Ce roman est une mise en abime cadencée et vertigineuse comme rarement on en retrouve dans la littérature policière contemporaine. Le sens de la mesure, du juste tempo, caractérise l’œuvre de Dennis Lehane : on pense au duo amoureux de détectives privés formé par les époux Kenzie et Gennaro dans l’excellent Gone Baby Gone, puis le décevant Moonlight Mile, ou à la chute vertigineuse du Marshals Teddy Daniels dans Shutter Island. Mais Un pays à l’aube est, peut-être plus que les autres, marqué par cette véritable étude du rythme, tant les temps, les lieux, les tons, les contextes différents se combinent avec fluidité. Car si le récit va vite, il n’est pas agité ou gavé de moments de sur-émotion. Aller vite pour Lehane c’est doser sans précipitation tous les éléments narratifs, poser l’action et la rendre crédible par un contexte historique juste. Ainsi, l’explosion sociale s’explique par l’image de soldats, qui au retour de la Grande Guerre, passent du statut de héros à celui de poids pour la société. Par ricochet, ces hommes s’en prendront aux immigrés Russes et Italiens qui à leur tour s’engageront dans les mouvements anarchistes. Alors, Boston prendra feu …
Vous l’aurez compris, Un pays à l’aube est une divine surprise et rassemble tous les ingrédients du grand polar historique américain. Un livre épidermique très graphique qui, après Mystic River, Gone baby gone et Shutter Island, vaudra une nouvelle adaptation cinématographique à Dennis Lehane. En effet, après des enchères entre les principaux studios, Warner a emporté les droits du livre et on parle d’une adaptation avec Ben Affleck à la réalisation.
Les premières lignes…
En raison des restrictions sur la liberté de circulation imposées à la ligue majeure de base-ball par le ministère de la Défense pendant la Première Guerre mondiale, les World Series de 1918 furent programmées en septembre et divisées en deux séries de matchs à domicile : les Chicago Clubs devaient organiser les trois premiers et Boston les quatre derniers. Le 7 septembre, après la défaite des Clubs au terme de la troisième rencontre, les deux équipes montèrent donc ensemble à bord du Michigan Central pour un trajet de vingt-sept heures, et Babe Ruth, passablement éméché, se mit à faucher des chapeaux (…)