Ecrire c’est (se) raconter. Emmanuel Carrère a fait sienne cette antienne. De livres en livres il met en page sa vie, Emmanuel en Asie du Sud Est lors du tsunami, Emmanuel dans la tête de Jean Claude Romand, Emmanuel dans les rangers de Limonov, Emmanuel jusque dans les pas du Christ. Autant de livres, de succès, parfois colossaux, pour cet immense gaillard sans moustache.
Le récit de sa propre vie, de tourments en maladies, est aussi ce qui a propulsé la littérature dite française au rang de rien du tout à l’échelle du monde. Auto fiction es-tu là?
Alors, bon, Carrère qui fait du yoga et qui entreprend de nous expliquer en détail en quoi cela consiste vraiment (rien à voir avec une simple gymnastique pour bobo en recherche de développement personnel, non rien à voir, le yoga est une discipline rigoureuse, spirituelle, chargée et ardue qui tend vers la sagesse ou le grand rien, c’est selon qu’on aille au bout ou qu’on lâche l’affaire en plein séminaire) quoi d’excitant là dedans?
La vie.
La vie qui extirpe Carrère de sa retraite spirituelle pour le ramener à la réalité des siens, un jour de janvier 2015, du côté d’une salle de rédaction d’un journal satirique.
Envolé, du coup, le livre sur le yoga, gageure chez POL, quand même, bienvenue en dépression, sévère et pentue, Emmanuel en soin, dans le nid de coucou, largué, paumé, déchiré, bipolarisé. Mais en pleine littérature quand même. Parce que la littérature est un constat, aussi. On y relève les points d’impacts, les chocs, les responsabilités éventuelles. Carrère cabossé arpente sa vie, comme il l’a déjà fait avant, mais avec un soupçon de gravité supplémentaire, comme une lourdeur de trop.
Un détail qui n’en est pas : pour la première fois depuis tout le temps, son éditeur ne lira pas son manuscrit. Paul Otchakovsky-Laurens est mort. Carrère voit ses mots soudain orphelins, soudain sans ce regard attentif, précis, non intrusif qui rythmait chaque fois le dépôt du manuscrit.
L’écrivain pleure son éditeur, son ami, c’est tout de même assez peu fréquent pour être signalé, en ces temps où pratiquement tous les éditeurs de la trempe de POL sont passés à trépas.
Alors ce petit livre sur le yoga? Une purge? Un monument dépressif, la crise de la soixantaine?
Rien de tout cela, plutôt un livre sur la méditation. Les méditations. Emmanuel Carrère en donne toutes le définitions possibles, imaginables par lui, comme s’il nous incitait, par tous les moyens, à y plonger aussi, en pleine méditation. On peut ne pas le souhaiter, pas tout de suite, pas maintenant, pas demain, mais peu importe : reste comme toujours avec cet écrivain assez essentiel, une fois de plus le plaisir de dévorer son livre. Là où la plupart ennuieraient pas qu’un peu avec de tels élans, lui emporte tout, encore.
Il est balaise, Carrère, à deux doigts d’écrire le meilleur livre jamais publié sur le yoga. Chapeau.