o n l a v u Ils sont quatre. Deux femmes, deux hommes. Ils sont jeunes. En 1940, aucun d’eux n’a quarante ans. Les deux hommes ne les atteindront pas. Hier encore dans la pénombre, Pierre Brossolette, Geneviève de Gaulle-Anthonioz, Germaine Tillion et Jean Zay entrent au Panthéon. Depuis vendredi, leurs visages monumentaux nous regardent avec bienveillance au seuil du pronaos. Ils dégagent douceur et profondeur. L’artiste plasticien Ernest Pignon-Ernest les a brossés sans âge, sans époque, sans attribut de martyr ou de saint. Simplement là, sur le forum. À l’intérieur de l’édifice, avec pédagogie, le jeune agrégé d’histoire Nicolas Vinci a conçu une exposition limpide. Quatre portraits en quatre temps – Origines, Résistances, Dépassements et Héritages – éclairent l’hommage de la nation à ces destins singuliers pris dans la catastrophe collective de la Seconde Guerre mondiale, et à leur œuvre au service des valeurs de la République. Parmi eux Jean Zay, prisonnier politique de son propre pays sous le régime de Vichy, sauvagement assassiné pas la milice. Le parcours est complété de moments filmés (archives de l’Ina, lecture de discours, témoignages de proches, entretiens avec des historiens) et d’un salon de lecture. Un site internet tient lieu de catalogue. Au salon de lecture, on a envie de lire les mots de ces quatre personnalités. « Résistance (1927-1943) » rassemble les textes majeurs de Brossolette, commentés par son biographe, l’historien Guillaume Piketty[1]. Journaliste de l’entre-deux-guerres, membre du premier réseau de Résistance du Musée de l’Homme comme Geneviève de Gaulle et Germaine Tillion avant de rejoindre la France libre, chacun de ses textes est un engagement. « L’Hommage aux morts de la France combattante » qu’il prononce à Londres le 18 juin 1943 pourrait, au seuil du Panthéon, être adressé à celui qui se donna la mort neuf mois plus tard pour ne pas parler. « Souvenirs et solitude » est le journal de prison de Jean Zay : un texte historiquement passionnant dont on ressort bouleversé par la force de caractère du jeune ministre du Front populaire. Ce qui frappe dans les écrits de ces deux hommes est la verve de leur jeunesse et leur résistance intellectuelle : agir, risquer et écrire pour Pierre Brossolette ; penser, comprendre et projeter l’avenir pour Jean Zay. De la Résistance à leur préoccupation pour les populations des anciennes colonies françaises ou pour les plus démunis de notre société, les vies de Germaine Tillion et de Geneviève de Gaulle-Anthonioz sont une image de l’histoire du 20e siècle français. À 38 et 25 ans, elles survécurent au camp de Ravensbrück et témoignèrent. « Ravensbrück » de Germaine Tillion est un ouvrage certes scientifique, trois fois revu au gré des ouvertures d’archives du deuxième conflit mondial, mais si bien écrit que chacun le lira avec beaucoup d’émotion. Geneviève de Gaulle a laissé un témoignage plus modeste au plan littéraire mais qui constitue un court récit accessible aux plus jeunes. On a l’impression parfois que les auteurs écrivent avec des gestes tellement la description des soins, dérisoires, que les femmes se prodigaient à Ravensbrück sont les seuls signes infimes de vie. Leurs livres constituent par ailleurs un hommage aux femmes résistantes inconnues, venues d’horizon social et géographique divers mais unies dans le refus de la défaite et du nazisme. Avec audace et courage, ainsi que l’écrit Germaine Tillion de toutes les disparues: « Car chaque femme morte a été tuée et retuée. Chacune d’entre nous était engagée dans une filière, où à chaque tournant un assassin était posté. » « Quatre vies en résistance » au Panthéon jusqu’au 1er janvier 2016 [1] Voir Guillaume Piketty, Pierre Brossolette – Un Héros de la Résistance, Paris, Odile Jacob, 1998.
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