©Francesca Mantovani
 
 
Philippe Labro
Folio
octobre 2018
192 p.  6,90 €
ebook avec DRM 6,49 €
 
 
 

Quel lecteur êtes-vous
Philippe Labro 
?

C’est lorsque l’on écrit soi-même, que l’on cherche sa propre musique,
que l’on commence à l’entendre chez les autres.

Journaliste, cinéaste, écrivain, Philippe Labro a toujours pratiqué l’éclectisme dans sa vie professionnelle, et ses lectures reflètent ce goût et cette curiosité d’aller voir ce qui se passe ailleurs, de lire aussi ce qui s’écrit ailleurs. A l’occasion de la parution en poche (Folio) d’un récit émouvant et personnel, intime même, dans lequel il raconte « Ma mère cette inconnue », Philippe Labro évoque à bâtons rompus son amour de la littérature, de toutes sortes de littératures.

Quels sont vos premiers souvenirs de lecture ?
Un mélange de Paul Féval, l’auteur de Lagardère, et des romans de la prairie américaine, comme ceux de John Fenimore Cooper ( «Le Dernier des Mohicans »), James Olivier Curwood («Les chasseurs d’or»), Jack London («Croc blanc»). Mes parents lisaient beaucoup et à la maison, il y avait des livres partout. Il n’était pas rare qu’une fois le repas terminé, mon père tourne autour de la table et nous lisant « Cyrano de Bergerac ». Cela m’a beaucoup marqué et j’ai gardé une passion pour Edmond Rostand. Ce que je cherchais dans un livre? Le récit, le suspense, que va-t-il se passer? Quelque chose qui éveille ma curiosité. J’avais un goût prononcé pour le feuilleton, et j’ai bien sûr découvert à peu près à la même époque « Les trois mousquetaires » d’Alexandre Dumas.

En grandissant, que lisiez-vous ?
J’ai développé le goût pour le théâtre, et j’ai même écrit des petites pièces. Vers dix, douze ans, un professeur de français va beaucoup influencer mes choix. Je découvre, trop tôt bien sûr, Balzac, Flaubert, Stendhal. Le plus facile à lire, c’était Maupassant. « Madame Bovary » reste un de mes romans préférés, mais à quel âge l’ai-je lu, l’ai-je compris vraiment, je ne m’en souviens plus. Ce professeur, capital dans ma vie, m’a donné le goût profond de la lecture et la tentation de l’écriture.

A partir de quand, imaginez-vous que, peut-être, vous pourriez écrire ?
Pas tout de suite, parce que la curiosité l’emportant sur la réflexion, mes goûts me conduisent d’abord vers le voyage, le désir de découvrir des terres inconnues. Je suis d’une génération qui a vu débarquer à dix ans les GI, et avec eux une autre littérature, un autre cinéma, une autre musique. C’est à ce moment que j’ai découvert Hemingway par exemple, et que j’ai été captivé par ses nouvelles. La lecture m’a donné le goût d’apprendre, d’aller voir comme disait Jacques Brel.

Dans un livre, attachez-vous plus d’importance à l’histoire ou à l’écriture ?
« Raconte-moi, qu’est-ce qui se passe, qu’est-ce qui arrive à chaque personnage, comment puis-je m’identifier à lui » : à l’époque, je m’intéressais davantage à l’histoire, même si je voyais bien que c’était mieux lorsque le style était clair, limpide, intelligible. C’est lorsque l’on écrit soi-même, que l’on cherche sa propre musique, que l’on commence à entendre celle des autres. Et puis arrive le cinéma que j’ai découvert grâce à Pagnol. Cela ne m’empêchait pas de lire, au contraire. Après avoir vu Edwige Feuillère dans « La Duchesse de Langeais », je me suis précipité sur le roman de Balzac. J’ai aussi été très frappé par Cocteau, ses dessins, l’homme, l’écriture. Par son éclectisme qui a fait naître en moi l’idée que l’on pouvait avoir plusieurs passions.  Un peu plus tard, je lirai « Les choses vues » de Victor Hugo, puis les récits journalistiques de Kessel, Hemingway (« En ligne », le recueil de tous ses articles). Ce sont des leçons d’écriture, « voir et faire voir », qui m’ont, très tôt, beaucoup marqué.

Que se passe-t-il pour vous après le bac ?
Je reçois une bourse d’études pour les Etats-Unis. Je vais passer deux ans dans une université où je suis des cours de journalisme, de littérature et d’Histoire et où je passe mon temps à lire, en anglais bien sûr. Je m’imprègne du style américain, de leur sens du détail et de leur volonté de raconter leur époque. Je découvre « Les raisins de la colère » de Steinbeck, qui devient et reste aujourd’hui encore mon livre de chevet, et la trilogie « U.S.A. » de John Dos Passos. Mais je me plonge aussi dans la littérature noire, Raymond Chandler (« Le grand sommeil »), Dashiell Hammett (« Le Faucon maltais »), James M. Cain (« Le facteur sonne toujours deux fois »), Horace McCoy (« On achève bien les chevaux », « J’aurais dû rentrer chez moi »). Ils racontent la corruption, l’argent, le sexe, la violence, l’urbanisation. Ils ont une tonalité différente et je baigne là-dedans pendant deux ans. Cela m’a énormément marqué. Quand je suis rentré en France, je voulais devenir journaliste. Un de mes premiers grands interviews fut celui de Blaise Cendrars. Pendant que nous buvions deux bouteilles de vin blanc, il m’a dit des choses très fortes!

Quand vous écrivez, pouvez-vous lire les romans des autres ? 
Non, parce que je suis toujours convaincu que ce que j’écris est nul et je crains, si je lis quelque chose de meilleur, que cela me paralyse. Alors je me contente de biographies, de correspondances, de documents.

Et quand vous n’écrivez-pas, vous intéressez-vous à vos contemporains ?
Je butine. Dès qu’un livre paraît qui me semble intéressant, je l’achète. Mais il n’est pas sûr que j’aille au bout. J’ai en permanence sur ma table de nuit, trois ou quatre ouvrages: en ce moment il y a le nouveau Murakami, « Le meurtre du commandeur », « La vie secrète des arbres » de Peter Wohlleben, « Le roman inachevé » d’Aragon, « Les vertus de l’échec » de Charles Pépin… Mais mon dernier choc, je l’ai éprouvé avec « Le lambeau » de Philippe Lançon. Depuis « Les Bienveillantes », je n’avais jamais été aussi frappé par un livre. Il a réussi à faire entrer dans le récit de l’attentat et des épreuves qu’il a subies, non seulement la chose vue et vécue, mais aussi le flot de conscient et d’inconscient. Il y mêle tout, son passé, son présent, ses amours. Ce récit est d’une richesse inouïe, d’une grande habilité dans la construction. Je viens de commencer également le livre sur Emmanuel Carrère, «Emmanuel Carrère, faire effraction dans le réel». Dans cette génération, Houellebecq et lui se situent au-dessus du lot. Ils sont lisibles et intelligibles, et portent un regard intéressant sur notre époque.

Y a-t-il des livres que vous auriez aimé écrire ?
Je me le dis bien souvent. Les livres d’Emmanuel Carrère justement. Ou d’autres plus anciens comme « L’Ami retrouvé » de Fred Uhlman.

Aimez-vous relire ?
Oui, les livres-phares de notre littérature à l’aune de votre propre vie, de votre propre expérience, c’est beaucoup plus intéressant que de les lire à vingt ans. Et je ne me lasse pas de Simenon, de Mauriac, un de mes écrivains favoris. Il ne faut jamais oublier de prendre le temps de lire.

 

COMMENT LISEZ VOUS ?

Marque-pages ou pages-cornées ?
Pages cornées, et toujours un crayon à la main pour souligner les passages importants. Que je corne ensuite.

Debout, assis ou couché ?
Assis ou couché. J’aime lire au lit, je dors très peu et n’éteins jamais la lumière avant 1h, 1h30.

Jamais sans mon livre ?
J’ai effectivement toujours un livre avec moi. Et j’adore lire en train…

Un ou plusieurs à la fois ?
Plusieurs car, comme je vous l’ai dit, je butine. C’est peut-être une erreur, mais la curiosité me pousse à ouvrir plusieurs livres à la fois. Je lis aussi beaucoup la presse, du matin au soir, ce qui me prend énormément de temps.

Combien de pages avant d’abandonner ?
Une cinquantaine, pas plus, pas moins. Et je n’ai aucun scrupule à abandonner.

 

CINQ INDISPENSABLES

« Le bloc-notes » de François Mauriac

« La métémorphose » de Franz Kafka

« Madame Bovary » de Gustave Flaubert

« Le Grand sommeil » de Raymond Chandler

 Toute « La comédie humaine »  de Balzac

Propos recueillis par Pascale Frey
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