Quel lectrice êtes-vous Camille Laurens ?
« Je ne suis pas du tout blasée »
Elle vient de publier « Celle que vous croyez », un roman dans lequel elle multiplie chausse-trappes et faux-semblants. Romancière depuis 1991, date de la parution de son premier livre, « Index », elle est une lectrice curieuse et boulimique depuis toujours. Et aujourd’hui plus que jamais, puisqu’elle fait partie du jury Femina. Nous nous retrouvons dans l’un des salons majestueux des éditions Gallimard, le lieu parfait pour parler littérature.
Enfant, lisiez-vous déjà beaucoup ?
Enormément, même s’il n’y avait pas beaucoup de livres à la maison. J’allais à la bibliothèque avec ma sœur aînée. Et ma grand-mère me lisait les contes d’Andersen. Les deux qui m’ont le plus marquée sont « La petite sirène » et « La reine des neiges ». Quelles choses horribles quand même ! Je lisais tout le temps, et je me souviens que j’apportais mon livre à table, ce qui exaspérait mon père.
Que lisiez-vous ?
Vers mes onze-douze ans, il y a eu un déchaînement de lectures en tous genres, des histoires avec des médecins, des romans de Delly, de Guy des Cars, dont j’ai relu récemment « Les filles de joie ». Je me trouvais dans une maison où il y avait ce livre que j’avais adoré quand j’étais adolescente. Mais c’est vraiment très mauvais ! Et parallèlement à ces lectures médiocres, je lisais « La chute » de Camus, et aussi les féministes comme « Le journal à quatre mains » de Benoîte et Flora Groult. Un peu plus tard, je devais avoir 14 ans, j’ai dévoré Sagan, que j’ai fait découvrir à ma grand-mère. Elle me disait : « Tu ne devrais pas lire ça, il y a des passages borno ». Elle avait dû entendre le mot « porno » quelque part mais l’avait mal compris! J’adorais aussi la poésie. Je me souviens de Rimbaud, des poèmes de Victor Hugo à sa fille Léopoldine, que j’apprenais par cœur.
Imaginiez-vous déjà devenir écrivain ?
Je ne me suis pas dit ça, mais dès les premières années de l’école primaire, il y avait une imprimerie au fond de la classe. Lorsque nous avions bien travaillé, on avait le droit d’aller composer un texte. Je découvrais que l’on pouvait écrire soi-même… Mon grand-père, de son côté, avait une machine à écrire que j’avais l’autorisation d’utiliser, et je recopiais des poèmes d’Eluard.
Plus tard, au lycée, vous aventuriez-vous en dehors du programme ?
Quand on me donnait un poème d’Henri Michaux en commentaire composé par exemple, j’allais ensuite acheter toutes les œuvres de Michaux. J’ai écumé le surréalisme en classe de première. J’ai aussi pleuré comme une madelaine en lisant « Le père Goriot » de Balzac. Lorsque j’étais professeur, je lisais devant ma classe de première la mort du père Goriot, en sanglotant. Cela a eu un effet très positif sur mes élèves. Ils ont d’abord rigolé bien sûr, et puis ils ont compris qu’un livre pouvait créer ça, cette émotion. A cette même époque, au lycée, j’ai été également beaucoup marquée par « Voyage au bout de la nuit » de Céline. Et je lisais toujours énormément de poésie. Je découvrirai en revanche Proust plus tard, vers l’âge de vingt ans.
Continuiez-vous à lire des romans sentimentaux ?
Non, après la troisième, je suis devenue sérieuse !
Aimiez-vous aussi la littérature contemporaine ?
Je lisais des polars. J’ai commencé par Agatha Christie, entre 11 et 13 ans. Puis je me suis attaqué à Arsène Lupin, à Boileau Narcejac. Cela m’a marquée. Aujourd’hui, je n’en lis plus beaucoup, mais j’aimerais bien, car il paraît qu’il y en a de formidables.
Qu’avez-vous fait après le bac ?
Des classes prépas, hypokhâgne, khâgne. J’ai raté deux fois l’oral à Normale Sup à un quart de point. J’ai toujours été meilleure à l’écrit. Ensuite j’ai passé une licence de lettres, puis une maîtrise où je comparais l’image de l’enfant chez Proust et Gide. J’ai ensuite passé le CAPES, puis l’agrégation de lettres. J’ai oublié de citer Gide, mais ce fut une de mes grandes découvertes. J’aime cette lucidité, cette façon d’oser parler de soi, cet hymne au désir que sont « Les nourritures terrestres ». Et la construction du « Journal des faux-monnayeurs » m’a inspirée pour « Celle que vous croyez ».
Avez-vous continué à découvrir de nouveaux auteurs ?
Oui bien sûr : Claude Simon, Alain Robbe-Grillet, Marguerite Duras évidemment. Puis Jean Echenoz, dont j’ai tout lu. Je me souviens aussi de René Belletto, Marie N’Diyae, Annie Ernaux et Hélène Cixous. Maintenant, avec le prix Femina, je lis tout ce qui paraît. Et ça me plaît bien car je découvre des auteurs vraiment nouveaux.
Que représente la lecture pour vous aujourd’hui ?
J’ai de grosses périodes de lecture pour le Femina, entre juin et novembre. Je m’arrange pour ne pas avoir un livre en cours d’écriture en même temps. Autrement, je relis beaucoup : des passages de Proust, « Les Fleurs du mal » de Baudelaire, « Bérénice » de Racine, « Madame Bovary »de Flaubert, « Lucien Leuwen » de Stendhal. Et quand j’anime des ateliers d’écriture, je relis aussi beaucoup de chose
Vous arrive-t-il encore d’éprouver des choc ?
Chaque année. Je viens par exemple de lire « Histoire de la littérature récente» d’Olivier Cadiot, que j’aurais aimé écrire.
Qu’est-ce qui vous a décidé à oser écrire ?
J’ai commencé par des poèmes en prose. Des petits textes qui relevaient presque du journal intime. Je sentais qu’il y avait une émotion que je pouvais transmettre. Puis je me suis lancée dans un policier avec mon mari. Ça a été le déclic, car si nous n’avons pas été publiés, nous avons reçu des réponses encourageantes. Il s’est découragé, mais j’avais envie de continuer. Mes premiers livres d’ailleurs se situent un peu dans la veine policière. Mais je crois surtout que le passage à l’écriture suppose d’accepter que l’on soit moins bon que ses prédecesseurs.
Avez-vous subi des influences ?
Pas stylistiques je pense, même s’il y a des auteurs dont j’admire infiniment l’écriture. Mais intellectuelles, sur l’introspection, sur le rythme de la phrase oui. Proust, Gide, Chateaubriand, Bossuet. Je ne prétends évidemment pas les égaler, mais j’aime cette idée qu’il y a un rythme, une ampleur ou une sécheresse. Je suis aussi beaucoup influencée par le rythme de l’alexandrin.
Lisez-vous lorsque vous êtes en période d’écriture ?
Des choses qui peuvent me nourrir. Pour ce dernier roman, j’ai donc relu « Le journal des faux-monnayeurs » de Gide, et « Les fausses confidences » de Marivaux que je connaissais par cœur… Mais je ne lis jamais d’auteurs contemporains, comme je n’écoute pas de musique en écrivant, par peur que cela me court-circuite.
Pouquoi avoir accepté d’entrer au jury du prix Femina ?
J’éprouve toujours cette joie d’enfant à recevoir des livres nouveaux, à découvrir ce qu’il y a dedans. Je déchante parfois, mais je ne suis pas du tout blasée.
COMMENT LISEZ-VOUS ?
Marque-pages ou pages cornées ?
Les deux, parce que si j’ai quelque chose sous la main, un ticket de métro par exemple, je l’utilise. Autrement, je corne. Et j’écris au crayon papier dans mes livres.
Debout, assise ou couchée ?
Assez souvent couchée, sur mon lit, ou assise sur le canapé.
Jamais sans mon livre ?
J’ai toujours au moins deux ou trois livres avec moi. Ce qui me donne mal au dos, tellement mon sac est lourd.
Un ou plusieurs à la fois ?
Plusieurs, souvent, car mes lectures dépendent de mon humeur. Ce n’est pas la même chose de lire un polar, un roman un peu difficile, un essai… Et pour le Femina, je suis obligée d’en lire trois ou quatre en même temps.
Combien de pages avant d’abandonner ?
Professionnellement, cinquante pages, ou moins et dans ce cas je sonde au milieu. En général, pour le plaisir, ce sont des livres que j’ai achetés, et il est rare que je les abandonne.
L’ORDONNANCE DU Dr. LAURENS
« A la recherche du temps perdu » de Marcel Proust
« Les fleurs du mal » de Baudelaire, ou une anthologie de poèmes
« La douleur » de Marguerite Duras
« Voyage au bout de la nuit » de Céline
« Une vie » de Maupassant
Propos recueillis par Pascale Frey
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