Quelle lectrice êtes-vous Sophie Fontanel ?
« Le microcosme littéraire parisien,
même s’il y a des gens remarquables,
est un milieu très conformiste »
Cette fille, reine de l’instagram (plus de 120.000 abonnés), a un culot d’enfer, une idée à la seconde et un drôle de talent pour repérer les tendances. Qui d’autre qu’elle aurait pu passionner les foules… avec ses cheveux blancs ? On a suivi, comme on l’aurait fait avec une série télé, la disparition de la teinture qui allait laisser progressivement la place à l’ « apparition » de la vraie Sophie. Mais évidemment, derrière ce sujet futile se cachent bien d’autres enjeux personnels et sociétaux qu’elle décrypte dans ce nouveau livre, best-seller annoncé avant même sa parution fin août.
Sophie Fontanel fut une lectrice tardive, mais elle a rattrapé le temps perdu, et ses goûts, plutôt inattendus et décalés, reflètent bien sa personnalité. Conversation à bâtons rompus chez elle, dans cet appartement qui sert de décor à tous ses posts. Mais pour une fois, le magnéto remplace l’appareil photo et le selfie!
Avez-vous toujours aimé lire ?
Je n’ai pas le souvenir d’avoir lu lorsque j’étais enfant. Au collège, le professeur de français nous avait demandé quels étaient nos cinq livres préférés, et j’avais été incapable de répondre. Ma mère était obsédée par les poètes, Eluard, Aragon, Apollinaire, Prévert bien sûr. Elle me les disait, je ne les lisais pas.
Quels étaient vos loisirs alors ?
Je construisais des cabanes. Je me souviens avoir imaginé tout un ranch, dans lequel habitait la famille Alonso à qui il arrivait plein d’aventures ! En fait, je ne lisais pas, car je m’inventais sans arrêt des histoires. Et puis un jour, je devais avoir douze ans, ma mère m’a emmenée aux sports d’hiver. Il faisait très mauvais temps, il neigeait de la pluie. Nous avions une toute petite location, rien à faire, à part aller à la librairie chercher des livres de poche. Sur les conseils de ma mère, j’ai lu « Jane Eyre » de Charlotte Brontë, « Rebecca » de Daphné du Maurier, « Notre Dame de Paris » de Victor Hugo. Et j’ai attrapé le virus.
Qu’avez-vous lu ensuite ?
Je me suis mise à dévorer les livres qui se dévoraient dans la famille. Ma mère avait une passion pour Françoise Sagan et Marguerite Duras. Mais elle avait des sœurs beaucoup plus intellos qu’elle qui lisaient Nathalie Sarraute, Aimé Césaire, Sony Labou Tansi, mais aussi Nikos Kazantzakis, un des plus grands écrivains du monde. Son héros, Alexis Zorba, est un jouisseur qui rencontre un ingénieur et lui apprend à vivre. Je rêvais de rencontrer Alexis Zorba, j’ai même appris à danser le sirtaki ! Vers l’âge de seize ans, j’ai aussi découvert « Le Quatuor d’Alexandrie » de Lawrence Durrell, et j’avais l’impression d’être une héroïne, d’être sa Justine.
Que cherchez-vous dans un livre en général ?
Je cherche le nerf des choses, une fulgurance, une pertinence. J’ai adoré Marguerite Yourcenar, et plus tard Nina Berberova. Un courant Russie-Arménie-Liban m’a traversée, je me retrouvais dans cette littérature étrangère. Puis gros coup de foudre pour « L’amour au temps du choléra » et « Cent ans de solitude » de Gabriel Garcia Marquez. J’ai toujours aimé le lyrique dans la littérature.
Comment la lecture vous a-t-elle conduite à l’écriture ?
J’ai commencé par des poèmes, des chansons, des pièces de théâtre. Lorsque j’avais dix-huit ans, j’ai écrit un manuscrit que j’ai envoyé à Simone Gallimard, la directrice du Mercure de France. J’ai reçu une lettre dans laquelle elle me conseillait d’arrêter toutes affaires cessantes, me précisant que je n’avais aucun talent. J’en ai été exaspérée, mais pas découragée. Au contraire, j’ai pensé il ne faudrait plus jamais écouter aucun éditeur ! Plus tard, je vivais avec un garçon, critique littéraire dans un quotidien, qui passait son temps à me dire : « tu ne peux quand même pas te comparer à un vrai écrivain. » Le jour où je me suis séparée de lui, j’ai terminé en quatre mois « Sacré Paul ». L’éditrice Nicole Lattès l’a publié, et j’ai remporté le prix du premier roman. Ça m’a appris que ce microcosme littéraire parisien, même s’il y a des gens remarquables, est aussi un milieu très conformiste.
Votre écriture est-elle influencée par vos lectures ?
Je suis graphomane, je n’ai donc aucun problème pour écrire, c’est pour ça que je suis si active sur instagram. Mais mon problème est que si je lis Victor Hugo, je me mets à écrire à la façon de Victor Hugo, en cent fois moins bien évidemment. Et c’est comme ça pour tous les auteurs. J’ai mis beaucoup de temps à trouver ma vraie voix et à finir par imposer le « je ». Le jour où j’ai arrêté d’écouter ce qu’on me conseillait, que j’ai écrit à la première personne, le succès m’est tombé dessus. C’était « L’amour dans la vie des gens ».
Avez-vous éprouvé des gros chocs littéraires ?
C’est un peu cucul la praline car on en a tellement parlé, mais « Le livre de ma mère » d’Albert Cohen (que j’ai préféré de loin à « Belle du seigneur »), va un jour me pousser à écrire « Grandir ». La voix de cet homme qui dit son regret de n’avoir pas assez aimé sa mère, m’a fait sangloter. J’aime aussi beaucoup les très très grands livres d’amour. « Tours et détours de la vilaine fille » de Mario Vargas Llosa par exemple, l’histoire d’un homme qui, depuis l’adolescence, aime une femme se fichant complètement de lui. Jusqu’à la vieillesse, cette fille sait qu’il ferait n’importe quoi pour elle, et elle va l’utiliser tout le temps. J’avais adoré cet amour qui dépasse tout et qu’il vit avec joie et fatalisme. J’ai aussi beaucoup lu Jacques Chardonne, Michel Déon, Michel Tournier. Mais je vivais dans un milieu de gauche et je devais me cacher, parce qu’ils avaient le choléra !
Que cherchez-vous dans la lecture ?
Cela dépend. Il y a la lecture d’évasion, pour que le livre me décroche de ma condition. Ou la pure jouissance littéraire, avec des auteurs faisant preuve d’audace et de liberté.
Lisez-vous les livres qui viennent de paraître ?
Je ne lis en général au moment où ils sortent que deux livres sur tous ceux qui paraissent, pour attendre que le bruit s’arrête. Là, j’ai envie d’acheter par exemple « Gabriële » de Anne et Claire Berest, « L’art de perdre » d’Alice Zeniter, et aussi « La serpe » de Philippe Jaenada. Je lis également beaucoup d’anglais pour progresser : je me régale du journal de Richard Burton et des « Memoirs of a Professional Cad » de George Sanders.
COMMENT LISEZ-VOUS ?
Marque-pages ou pages cornées ?
Pages cornées. A deux endroits. Pour marquer l’endroit où j’en suis, et des petits cornes pour les pages qui m’intéressent. Avec l’ongle enfin, je raye le passage précis que je veux relire.
Tablettes ou livres papiers ?
Jamais de tablettes, mais j’adore m’acheter des livres chez les bouquinistes.
Debout, assise ou couchée ?
–Couchée. La lecture est un très bon somnifère !
Jamais sans mon livre ?
Moins maintenant. A une époque, j’avais toujours un petit livre avec moi. Aujourd’hui, je suis droguée à instagram. C’est dommage.
Un ou plusieurs à la fois ?
Plusieurs et souvent au moins un recueil de poèmes. A une époque où il y a toujours des gens pour te dire la vie est une jungle, te pousser à être violent, la poésie vaut tous les yoga, apaise toutes les tensions.
Combien de pages avant d’abandonner ?
Une trentaine. Je ne tiens pas longtemps.
CINQ INCONTOURNABLES
« L’amour au temps du choléra » de Gabriel Garcia Marquez
« La promesse de l’aube » de Romain Gary
« Alexis Zorba » de Nikos Kazantzakis
« Pourquoi j’ai mangé mon père » de Roy Lewis
« L’île d’Arturo » de Elsa Morante
Propos recueillis par Pascale Frey
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