Catherine Cusset
Gallimard
blanche
janvier 2018
192 p.  18,50 €
ebook avec DRM 12,99 €
 
 
 

Quelle lectrice êtes-vous Catherine Cusset ?

« Lire en mangeant du chocolat... »

Chacun de ses livres est différent du précédent, et chacun de ses livres est un pari, comme cette « Vie de David Hockney » par exemple, une biographie imaginaire qui nous permet d’entrer dans l’intimité du peintre anglais et de mieux comprendre son œuvre. Il paraît que des amis de Hockney lui en auraient traduit des pages et que l’artiste aurait estimé que Catherine Cusset avait saisi l’essentiel de sa personnalité. Le roman, lorsqu’il se transforme en intuition, se révèle parfois plus authentique que la réalité même.
Catherine Cusset aime la peinture, mais plus encore la lecture qui semble vitale pour elle.

Quels sont vos premiers souvenirs de lecture ?
A six ans, j’ai reçu pour Noël « Oui Oui » et j’ai adoré! Enfant, j’étais déjà une très grande lectrice, et j’ai dévoré bibliothèques roses et vertes, la collection rouge et or et celle des contes et légendes. Lorsque je suis arrivée au lycée La Fontaine, la bibliothécaire a joué un rôle très important. Je me souviens d’avoir, à dix ans, lu tout Pearl Buck. Ce que j’aimais ? Me retrouver dans une sorte de réalité alternative je pense. Lire en mangeant du chocolat, remplir le corps et l’esprit en même temps.

Y avait-il beaucoup de livres chez vous ?

Je viens d’un milieu intellectuel, ma mère est une très grande lectrice, et elle m’a toujours poussée à lire. Mais elle n’autorisait pas du tout la bande dessinée (sauf Astérix et Tintin), alors que j’adorais ça. Nous passions l’été en Bretagne et je n’allais au club Mickey que pour les concours de plage qui permettaient de gagner des BD, que je feuilletais en cachette. A 12 ans, je me souviens d’avoir découvert le livre merveilleux d’Anne Philipe, « Le temps d’un soupir » que m’avait recommandé ma mère. Elle avait l’habitude d’entrer dans ma chambre et de me demander : « ça te plaît ? » Il fallait que ça me plaise, je n’avais pas le choix !

 Vous souvenez-vous de grands chocs littéraires ?
Je n’avais pas le droit de regarder la télévision,  sauf quelques exceptions que ma mère m’autorisait. C’est comme cela que j’ai vu à douze ans « Scènes de la vie conjugale » d’Ingmar Bergman, « Hiroshima mon amour » d’Alain Resnais et un téléfilm, « Splendeur et misère des courtisanes ». Je l’ai tellement aimé que je me suis emparée du livre, et Balzac est entré dans ma vie. La difficulté, c’est de franchir une montagne au départ, ces cinquante ou soixante pages de descriptions extrêmement ennuyeuses, pour arriver au moment où l’on se retrouve embarqué dans une spirale. Pendant deux ans, je n’ai pas arrêté de le lire et mon préféré reste les « Illusions perdues ».
J’ai quelques autres souvenirs marquants de cette époque : je devais avoir 10 ans, je tends le livre que j’ai choisi à la bibliothécaire, « Les mémoires d’Outre-tombe » de Chateaubriand, et elle me lance : « mais vous êtes folle, vous êtes beaucoup trop jeune ». Frappée par la honte, j’ai été le reposer et je ne l’ai jamais lu !
Une autre fois, je choisis Proust : la bibliothécaire me décourage d’un « ah non, c’est très mauvais ce bavardage de concierge. » Mais j’ai passé outre, j’avais 15 ans, je l’ai lu d’une traite. A l’époque, en été, je travaillais comme baby-sitter dans une famille détestable. Je devais m’occuper de quatre enfants, et on ne m’accordait pas une heure de libre. Je me trouvais à la plage avec le plus petit, il jouait avec sa pelle, tandis que j’étais plongée dans « Sodome et Gomorrhe ». Totalement absorbée par le roman, j’ai entendu tout à coup des hurlements, le garçon était tombé dans un trou et saignait de la bouche. La mère m’a interdit ensuite d’emporter un livre à la plage. J’ai lu « La Recherche », une première fois à quinze ans, passionnée par tout ce qui était psychologique, les rapports amoureux, l’attente, la jalousie. Je me suis totalement reconnue dans ces pages. Je l’ai relue à dix-huit ans, et cette fois j’ai découvert l’humour le côté social. Je l’ai relue enfin une troisième fois pour écrire « L’autre que l’on adorait », puisque mon personnage était un proustien.

Que représente la lecture pour vous ?
C’est mon anti-dépresseur. Si je n’ai pas un livre qui me passionne, je déprime très vite. C’est le meilleur des compagnons, rien ne peut remplacer un livre. Je suis tout le temps à l’affût de nouvelles découvertes. Il y a quatre ans, dans une petite foire de Brooklyn, je suis tombée par hasard sur un roman dont j’ai aimé la couverture. Je me suis dit, tiens, je vais essayer ça. Il s’appelait « My brillant friend », personne n’en avait entendu parler. J’ai été embarquée. Depuis, cette « Amie prodigieuse » a fait du chemin !

 Vous autorisez-vous des lectures faciles ?
Je suis curieuse, et j’aime comprendre pourquoi un livre est devenu un best-seller. Comme je voyage beaucoup, j’achète souvent des romans à la gare, à l’aéroport. J’ai lu Guillaume Musso, et j’ai compris pourquoi ça marchait. Il y a dans son écriture énormément d’énergie, une intrigue bien menée. Ce n’est pas le genre d’écriture qui me nourrit, mais je comprends. D’autres me tombent des mains et je ne comprends pas.

Est-ce qu’un auteur plus qu’un autre vous a poussée à devenir écrivain ?
J’ai toujours écrit, mon journal, des poèmes. Entre 13 et 15 ans, je me suis lancée dans plusieurs romans. Ils étaient certainement hyper mauvais, bourrés de clichés, mais je les ai terminés. Après, j’ai arrêté d’écrire parce que je suis entrée dans un cycle d’études difficile, hypokhagne, khagne à Louis le Grand. Ce fut un choc, car la lecture de plaisir a disparu. Plus tard, pour l’agrégation, j’ai dû lire quatre fois « L’homme qui rit » de Victor Hugo. Un roman que j’adorais, mais lorsqu’il faut quasiment l’apprendre par cœur, ça lasse ! Pour ma thèse, je n’ai pas choisi mon siècle préféré, le 19e, car je ne voulais pas gâcher mon amour pour lui. Je lui ai préféré le 18et j’ai travaillé sur le roman libertin. Entre le bac, le concours de Normale sup, puis l’agrégation, je n’en pouvais plus. J’ai travaillé comme une bête, même si j’avais réussi à grapiller quelques heures pour lire Milan Kundera, Thomas Mann, Paul Claudel, Marguerite Duras.

 Comment vous êtes-vous mise à l’écriture ?
Je suis partie aux Etats-Unis, où j’ai vécu un très gros chagrin d’amour qui a débloqué l’écriture. Mon premier roman, « La blouse roumaine », s’est vendu à 350 exemplaires, aucun journaliste n’en a parlé, et cela m’a un peu traumatisée. C’était en 1990 et le mois où mon roman est sorti, j’ai soutenu ma thèse sur Sade et je me suis mariée.

Lisez-vous quand vous écrivez ?
Oui, mais c’est compliqué, car si je lis un livre que je n’aime pas, je me vide, il aplatit le monde, alors qu’un livre que j’aime m’inspire.

Et lisez-vous les gens que vous connaissez ?

Souvent, car j’ai la chance de recevoir la production de Gallimard. J’aime bien les premiers romans. J’avais découvert il y a quatre ans « Dans le jardin de l’ogre » de Leïla Slimani. Et récemment « Fugitive parce que reine » de Violaine Huisman que j’ai trouvé magnifique. J’ai aussi été impressionnée par le livre de Yannick Haenel, « Tiens ferme ta couronne ». Mais l’un des ouvrages contemporains qui m’a le plus impressionnée a paru il y a une vingtaine d’années, et c’est « Le dieu des petits riens » d’Arundhati Roy que j’ai lu quatre fois. L’histoire, la dimension historique, la langue, la poésie, la force des sentiments, tout est parfait.

COMMENT LISEZ-VOUS

Tablette ou papier ?
Je ne lisais que sur papier, mais les compagnies aériennes se sont mises à peser nos bagages à main, avec une limite de dix kilos. Donc je suis passée à l’I Pad, lorsque je voyage uniquement.

 Marque-pages ou pages cornées ?
Pages cornées et les dernières pages des livres me servent de cahier. Je note mes idées partout, même dans les marges.

 Lisez-vous debout, assise ou couchée ?
Surtout pas debout. J’ai un fauteuil très confortable. Et le soir, au lit, je ne m’endors jamais sans lire un peu.

 Jamais sans mon livre ?
Partir sans avoir un livre, c’est inconcevable pour moi. Lorsque j’étais enfant, j’en mettais partout, et même dans les toilettes, au cas où nous serions envahis par les Allemands ! Au moins je pourrais me réfugier là et avoir quand même de quoi lire

 Un ou plusieurs à la fois ?
Plusieurs. Car ce sont des lectures qui ont parfois  un rapport avec la possibilité d’un projet.

 Combien de pages avant d’abandonner ?
Au moins cent. Et je finis parfois par aller jusqu’au bout en le parcourant.

CINQ TITRES

« Les liaisons dangereuses » deLaclos

« Les Illusions perdues » de Balzac

« Le dieu des petits riens » d’Arundhati Roy

« L’Idiot » de Dostoievski

« Du côté de chez Swann » de Marcel Proust

 

Propos recueillis par Pascale Frey
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