« on découvre qui l’on est
et ce pourquoi l’on est fait »
Née en 1938 en Angleterre, Anne Perry est un auteur prolifique. Passionnée d’Histoire, elle a écrit de nombreuses séries et titres situés dans des périodes toutes différentes. « Joseph et Matthew Reavley » met en scène une famille anglaise dans les tourments de la Grande Guerre, « A l’ombre de la guillotine » conte les aventures d’un groupe décidé à sauver Louis XVI de l’échafaud, « Du sang sur la soie » relate une enquête au cœur de l’Empire Byzantin.
Mais sa période de prédilection demeure sans conteste l’époque victorienne à laquelle elle a consacré la série des « William Monk » et « Les enquêtes de Charlotte et Thomas Pitt » dont le 30e volume, « La disparue d’Angel Court », paraît chez 10/18.
Qu’est-ce qui vous a poussé à devenir écrivain ?
Décide-t-on de devenir écrivain ? Je ne le crois pas. Je pense plutôt que l’on découvre qui l’on est et ce pour quoi l’on est fait. Enfant, j’élaborais dans ma tête des histoires. Mon imagination vagabondait mais je n’étais pas vraiment prête à mettre en forme ce que j’inventais. Mes historiettes n’avaient pas de réelle structure. Ce n’est que plus tard, je devais avoir un peu plus de 20 ans, que je me suis lancée. Et je n’ai plus arrêté depuis.
J’ai mis quelque temps à être publiée. Mes premières fictions étaient historiques mais aucune n’a trouvé preneur. Ce n’est qu’avec mon premier policier « L’étrangleur de Cater Street » (1979) que j’ai été éditée. Ce titre débutait la série de Thomas Pitt.
Est-ce la raison pour laquelle vous vous êtes spécialisée dans le genre policier ?
Sûrement parce que l’intrigue confère au récit une vraie ossature, une colonne vertébrale. J’avoue ne pas être intéressée par la résolution de l’énigme en tant que telle. Découvrir le meurtrier est pour moi secondaire. Ce qui me passionne en revanche, ce sont les personnalités des protagonistes. Qui sont-ils ? Quelles sont leurs motivations ? Il est si difficile de connaître ceux qui nous entourent, nos voisins, nos amis, les membres de notre famille même la personne qui partage notre existence. Montrent-ils leurs blessures ou cherchent-ils à ne présenter qu’une apparence parfaite? C’est cette recherche de la véritable personnalité des individus qui me guide. Même si bien évidemment chacun conserve sa part secrète. Décortiquer le cheminement qui conduit quelqu’un à commettre un crime, voilà ce qui m’importe.
Vous sortez un Pitt au printemps et un Monk à l’automne, comment tenez-vous ce rythme ?
Je répondrai en vous disant que je ne fais rien d’autre. Je travaille sur chaque série pendant quatre mois environ. Le reste du temps, je le consacre à l’écriture d’une nouvelle. Et puis il y a les voyages et la promotion de mes livres. Pour ce qui est de ma méthode, je me mets à ma table de travail du matin au soir six jours sur sept. Je planifie très précisément ce que je souhaite écrire. Je rédige une esquisse d’une vingtaine, trentaine de pages. Tout est très détaillé. Je ne m’engage jamais avant cette ébauche. Dès que je démarre, je sais parfaitement où je vais. J’ajoute ensuite de la matière, de la chair.
Tous vos ouvrages s’inscrivent dans une période historique. Vous lancez-vous dans de longues recherches ?
D’abord, je possède chez moi une bibliothèque assez complète, ce qui facilite considérablement les choses. Je choisis le bon livre, le bon article dès lors que je souhaite évoquer un évènement que je ne connais qu’insuffisamment. Pour « La disparue d’Angel Court » les faits dont je parle, l’affaire Dreyfus, l’assassinat de Sadi Carnot appartiennent à l’Histoire du Monde donc les recherches ont été bien moins complexes.
Pourquoi la période victorienne vous fascine-t-elle à ce point ?
La période était tellement positive. A l’époque, on ne se disait pas « il y a un problème » mais comment résoudre cette difficulté, cet obstacle. Une façon très pragmatique d’envisager les difficultés. Cette époque fut aussi très réformatrice sans évoquer la révolution industrielle. Le contrôle des naissances fut très discuté à un moment où le mouvement féministe émergeait. Il y eut des réformes pénitentiaires de taille et des lois luttant contre la prostitution.
Le pays, on disait à l’époque l’Empire, allait à la conquête du monde. Il y avait des explorateurs, des égyptologues… excentriques pour la plupart. Nous Anglais sommes excellents dans l’excentricité. Un exemple, le général Wingate qui dirigeait en Inde la 77ème brigade, se baladait parfois la tête couverte d’un bonnet de douche avec un collier d’ail autour du cou sans rien d’autre. Il y avait bien sûr, et beaucoup plus connu, Oscar Wilde. Toutes ces personnalités sortaient de l’ordinaire.
Il ne faut pas oublier aussi que Londres était la plus grande cité, le plus grand port du monde. Tout le monde s’y rendait. Quelle meilleure source d’inspiration que la capitale anglaise avec ses pavés, ses belles demeures, le brouillard trainant dans les rues…tout cela est très romanesque.
« La disparue d’Angel Court » évoque la religion, les sectes, l’intolérance.
Avez-vous été influencée par le climat actuel de fanatisme religieux ?
Bien sûr. Comment ne pas l’être ? Mais il ne faut pas oublier que les fins de siècles produisent des évènements particuliers. Vous avez eu en France à la fin du 18ème siècle la Révolution Française. La fin du 19ème siècle n’échappe pas à la règle. Il y eut beaucoup d’attentats. Des gens luttaient pour les droits. La violence était très présente.
Pourquoi avoir choisi ce thème de la religion dans ce volume?
Parce que la religion est très importante dans ma vie. Mon engagement ne me vient d’ailleurs pas de ma famille. Ni ma mère ni mon père ne croyaient. Seule ma grand-mère allait à l’église. Je savais que j’étais chrétienne mais allais d’église en église sans trouver vraiment ce que je cherchais. C’est comme cela que je suis entrée chez Les Mormons.
Votre personnage de Sofia Delacruz, l’héroïne de « La disparue d’Angel Court », comment l’avez-vous imaginé?
Je ne voulais pas peindre cette femme « religieuse » comme une sorte de fantôme, sans consistance. D’ailleurs en se référant à la Bible, les femmes sont toutes de fortes personnalités. Eve, Marie, Marie-Madeleine…Aucune d’elles n’est docile, falote.
Victoria Delacruz appartient à ce genre de femmes. Elle vit selon ses propres aspirations sans se laisser conduire par les règles de la société. J’avoue m’être identifiée un peu à elle. Ce qu’elle dit de la religion par exemple traduit exactement ce que je pense.
Dans cet ouvrage, outre Sofia les autres protagonistes féminins sont assez proches des femmes de notre époque : autonomes, confiantes en elles. J’ai peut-être été influencée par le mouvement féministe qui émergeait dans ces années mais cela n’est pas conscient. J’ai avant tout cherché à rendre mes personnages aussi justes que possible.
« La disparue d’Angel Court » serait-il votre ouvrage le plus personnel ?
Non pas vraiment même si la composante religieuse y est importante.
La Série Reavley m’a bouleversée parce que je me suis beaucoup attachée aux personnages aux prises avec ce drame que fut la Grande Guerre.
Le prochain titre de Pitt qui doit paraître prochainement en Angleterre me plaît beaucoup. Mais peut-être en est-il ainsi de tous les titres à venir, un emballement.
Propos recueillis par Christine Oddo