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Violaine Binet a aimé
« Ailleurs » de Richard Russo (Quai Voltaire)
« J’ai été très touchée par « Ailleurs », de Richard Russo. Dans ce récit autobiographique, centré sur Jean Russo, la mère de l’écrivain, le narrateur avance un peu comme un homme tâtonnant dans le noir, en s’appuyant sur des meubles. Ici, les meubles ce sont les souvenirs. Richard Russo évoque d’abord son enfance à Gloversville, une petite ville de l’Etat de New York, où sa mère, une belle femme, et à sa façon une pionnière dans son désir d’indépendance, l’élevait seule, avec l’aide de ses grands-parents. Mais l’attachement problématique de Jean Russo à son fils unique devint un fardeau dans sa vie d’homme. On suit le cheminement de celui-ci, sa mère attachée à ses pas, à chaque étape de sa carrière, de l’Arizona à l’Illinois, puis dans le Maine, le récit avance par bonds, et cette progression réaliste mais fragmentaire, au gré des épisodes marquants de sa mémoire, procure une grande émotion. Richard Russo, lauréat du prix Pulitzer, est un grand romancier car il maintient un certain suspense jusqu’au bout: qui était vraiment Jean Russo, le personnage central du livre ? Pour nous comme pour lui, ce suspense reste entier, jusqu’à la fin où il a cette révélation: sa mère souffrait d’une maladie mentale, ce qu’on appelle aujourd’hui des troubles obsessionnels du comportement (TOC), mais qu’on ne soignait pas de son vivant.
Ce livre arrive tard dans l’œuvre de Russo, comme s’il ne s’était pas autorisé à écrire sur sa mère plus tôt. Alors qu’il a parlé des paysages de son enfance, qu’il a créé un héros qui ressemblait à son père, c’est la première fois que celle-ci se retrouve en pleine lumière. Jean Russo rappelle beaucoup de personnages féminins dont le «rêve américain » a peut-être créé la fêlure: de Frances Farmer aux héroïnes de Hitchcock en passant par « Sue perdue dans Manhattan »… Enfin, j’ai été très touchée par cette relation aimante et destructrice entre une mère dévorante et un fils unique, mais qui fait de lui un lecteur, puis un écrivain. Ce métier d’écrivain qui est l’occasion de pages magnifiques dans «Ailleurs.»
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